Promesses... promesses...

Entendez-vous monter le choeur médiatique des idéologues libéraux de tout poil, ultralibéraux, néolibéraux, paléo-libéraux, ordo-libéraux, socio-libéraux, etc. : il est temps que Hollande s'assoit sur ses promesses électorales aussi minimales aient-elles été ? Le « coup de pouce » au SMIC serait un sacrilège et le « coût du travail » une abomination sabotant la « compétivité » de « nos » entreprises et sapant le moral si fragile de « nos » entrepreneurs. Cela fait 30 ans que l'on nous sert cette rengaine... Comme si l'on ne savait pas que ces jérémiades ne servent qu'à essayer de masquer une réalité plutôt sordide : préserver les bénéfices financiers et la rentabilité du capital aux dépens du travail ; garantir la rente et les rémunérations des actionnaires par la dégradation des conditions de vie du plus grand nombre. Dans le Nouvel Observateur, M. Jean Daniel, prophète autoproclamé de la gauche « raisonnable », du haut de son confort matériel et intellectuel, demande à Hollande de tenir un « un discours mendésiste et même churchillien ». Du sang et des larmes (21.06.2012). Il y met d'autant plus de conviction que lui-même n'aura pas personnellement à souffrir de mesures mettant en cause son train de vie et qu'il pourra juger anodines des dispositions qui réduiraient des familles entières à la pauvreté et à la précarité. Décidément l'insensibilité, l'impudeur et l'outrecuidance des ces personnages n'a pas de limites.

Il y aurait pourtant au moins une promesse que Hollande pourrait tenir sans que cela coûte un sou à « nos entreprises ». Il a en effet proposé, à juste titre, de supprimer le mot « race » dans la Constitution française. Cela a suscité une levée de boucliers d'une étonnante violence, jusque dans les colonnes de l'Humanité où le chroniqueur François Taillandier reprenait ironiquement à son compte l'idée imbécile et à courte vue selon laquelle enlever le mot race de la Constitution ne ferait pas disparaître le racisme ! Sans blague ? Et, ajoute-t-il, « pour autant que cette ignominie (le racisme) existe encore ici ou là ». Vous avez bien lu. On se demande dans quel monde vit F. Taillandier. M. Yvan Rioufol, entre autres, dans son blog du Figaro avait déjà fait ses délices de ce sophisme, suscitant plus de 300 commentaires laudateurs atterrants de bêtise et de haine.

J'ai exprimé mon désaccord par un courrier paru dans l'Humanité du 20.03.2012. Lorsque la Constitution française dit que la République assure l'égalité des citoyens « sans distinction d'origine, de race ou de religion », cela signifie bien que l'on considère comme acquise l'existence des « races » comme des religions. Contrairement à ce qu'affirme F. Taillandier, le mot n'est nullement « révoqué » par la suite du texte mais au contraire installé, dans cette phrase, par ce qu'on appelle en linguistique, F. Taillandier ne l'ignore pas, un présupposé (ou présupposition). Il s'agit d'un procédé rhétorique qui conduit l'interlocuteur, pour accéder au sens de l'énoncé, à adhérer, sans forcément s'en rendre compte, à une idée implicitement avancée. Le présupposé, ici la réalité des races, n'est jamais explicité mais donné comme allant de soi.

Argument massue, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 reprend en effet cette notion dans son article 2. Sauf qu'à ce moment l'idéologie dominante pensait encore pouvoir donner un contenu « scientifique » à l'existence des races et à leur inégalité (voir Olivier Le Cour Grandmaison, La République impériale, Fayard, 2009). On a, depuis, je crois, fait quelques progrès. Non seulement la notion de race n'a aucun fondement scientifique, en particulier génétique, mais il s'agit d'une construction idéologique qui a eu pour fonction, en Occident, de légitimer l'esclavage, la colonisation et, encore aujourd'hui, « l'hégémonie des populations blanches » (voir Félix Boggio Ewangé-Epée et Stella Maglioni-Belkacem, Race et capitalisme, www.contretemps .eu).

L'amour des mots dont se targue F. Taillandier ne saurait en figer le sens dans un conservatisme dont le contenu idéologique n'est que trop évident. Je rappelle que le mot « race » était présent, de la même façon, dans le Traité constitutionnel européen de 2005. Apparemment, certains y tiennent beaucoup...

25 juin 2012