Laïcité, racisme, xénophobie...

Comment ne pas réagir émotionnellement, au moins dans un premier temps, devant le déferlement de haine raciste et xénophobe qui submerge aujourd'hui les médias et une grande partie du personnel politique, à droite, ce qui ne saurait étonner, mais aussi, hélas, à gauche. Un ministre de l'intérieur entend exclure tout un groupe humain de la communauté nationale ; le chef du principal parti d'opposition veut refuser la nationalité française aux enfants allogènes nés sur le sol français ;

une ministre de la justice non blanche est accablée d'insultes racistes ; un tartuffe déguisé en président de la République ose cyniquement présenter à une adolescente de 15 ans ce dilemme insurmontable : choisis ! Ou tes études ou tes parents ! Il ne s'agit que des derniers développements d'un climat délétère dont une cause essentielle est la panique de politiciens en mal de réélection et qui croient pouvoir préserver leur place en se lançant sur les traces du FN lequel aura toujours un temps d'avance sur eux.

     Colère. Honte. Dégoût. On a voulu nous faire croire, à propos des Roms, que 20 000 miséreux mettaient en coupe réglée un pays de 65 millions d'habitants. Le maire « socialiste » de Saint-Yrieix éructe : « quand on installe des Roms, il y a le crime, la drogue, la prostitution, il n'y a pas de raison de laisser faire » (sic) (rapporté par Florence Aubenas, le Monde, 20/21.10.2013). Quand la parole raciste se débonde en de telles imbécillités criminelles, ce qui s'effondre c'est cette sorte de surmoi social qui jusqu'alors avait limité tant bien que mal l'expression des pulsions les plus basses et les plus mortifères exacerbées par l'individualisme libéral. Ces pulsions sont désormais exploitées jusqu'à « la gauche » par des aventuriers de la politique sans scrupules tels les misérables échantillons d'inhumanité que sont ces messieurs Valls ou Copé. Quelle délectation que de pouvoir accabler des gueux en toute bonne conscience ! Tenez, cette famille Dibrani, avec ce père menteur et paresseux, on a bien fait de tous les renvoyer à leur gourbi... « Salauds de pauvres ! »... ça soulage de pouvoir le proclamer ! Et le Figaro ne s'en prive pas … Car, ainsi que le remarque Maurice Ulrich dans l'Humanité, le pauvre doit être irréprochable, poli, reconnaissant des bienfaits qu'on lui prodigue ; il doit être humble, dur à la tâche, baisser les yeux, respecter l'ordre et la morale (22.10.2013).

     Mais la cible principale des démagogues reste l'immigré, terme générique pour désigner tout ce qui n'est pas assez blanc ni suffisamment « de souche », même né en France et dit de seconde génération. On dit en outre que cet individu douteux pratiquerait souvent, ouvertement, une religion détestable, ce qui n 'a pas manqué de susciter quelques carrières spontanées de procureurs autoproclamés s'autorisant d'une étrange forme de laïcité à l'usage exclusif d'un Islam toujours suspect et dont il s'agit d'épier et de dénoncer sourcilleusement les comportements dits visibles et même supposés. En quelques lignes, il y a 24 ans, Pierre Bourdieu a démasqué définitivement la duplicité des cagots qui sévissent encore aujourd'hui. C'est l'affaire de Creil, en 1989, où trois jeunes filles étaient venues au lycée avec un fichu sur la tête, soulevant l'ire de ce que Bourdieu appelle les « éternels prétendants au titre de maître à penser, jetant sur cet évènement mineur le voile des grands principes, liberté, laïcité, libération de la femme, etc. » (« Un problème peut en cacher un autre », Interventions1961-2001, Agone, 2002). Car la question était évidemment toute autre et les véritables motivations inavouées. En mettant en avant la question patente -faut-il ou  non accepter le port du voile à l'école?- on occultait la question latente -faut-il ou non accepter en France les immigrés d'origine nord-africaine?- ce qui permettait de donner implicitement à cette dernière un réponse négative inavouable auttrement. On en est toujours là et la laïcité continue d'être prostituée au racisme et à la xénophobie.

 

 4 novembre 2013