« Le racisme des intellectuels »
J'ai déjà évoqué cette idée reçue, largement répandue par les idéologues dominants, selon laquelle le racisme et la xénophobie seraient d'inévitables « passions » populaires générées dans les masses par l'ignorance et la pauvreté. Ces lieux communs ne sont pas plus vrais pour être ainsi rabâchés. Ils sont en fait dogmatiquement établis sur le principe fondateur du libéralisme politique qui est la disqualification du peuple, indigne, au fond, d'exercer une citoyenneté qui devrait être seulement réservée à une élite disposant de suffisamment d'aisance et d'éducation. En 1790, ce principe a conduit à la distinction, élaborée par Sieyès, entre « citoyens actifs » et « citoyens passifs », une distinction qui perdure au moins dans les mentalités. Bénéfice secondaire, cela permet, in fine, même si on feint de le déplorer, de légitimer un vote lepéniste qui exprimerait ainsi, voyez-vous, un sentiment populaire.
Il ne faut cesser de le répéter, le racisme et la xénophobie sont des constructions historiques et sociales mises au service des puissants et des nantis. J'ai déjà eu l'occasion de signaler le racisme colonial républicain mis en place aux XIXème et XXème siècles pour justifier les exactions coloniales (cf Jules Ferry). Récemment, comme je l'ai rapporté, le philosophe Jacques Rancière dénonçait la véritable xénophobie d'Etat instaurée par le régime sarkozyste. Dernièrement, Alain Badiou, dans une tribune du journal le Monde (6-7.05.2012) est allé plus loin en visant le racisme d'un « ensemble non négligeable d'intellectuels » : « Qui sont les glorieux inventeurs du « péril islamique », en passe selon eux de désintégrer notre belle société occidentale et française ? Sinon des intellectuels qui consacraient à cette tâche infâme des éditoriaux enflammés, des livres retors, des « enquêtes sociologiques » truquées ? Est-ce un groupe de retraités provinciaux et d'ouvriers des petites villes désindustrialisées qui a monté patiemment toute cette affaire du « conflit des civilisations », de la défense du « pacte républicain », des menaces sur notre magnifique « laïcité », du « féminisme » outragé par la vie quotidienne des dames arabes ? » Et Badiou de conclure : « Comme toujours, l'idée, fût-elle criminelle, précède le pouvoir qui, à son tour, façonne l'opinion dont il a besoin ». Tout est dit.
Un exemple sidérant de ce dévoiement intellectuel. C'était avant le 1er tour des présidentielles, dans l'émission de FR3 Ce soir ou jamais avec comme invité un certain Richard Millet, honorablement connu comme écrivain. M. Millet s'est présenté comme une victime : « Je suis Français de souche, quelle horreur ! Catholique, quelle horreur ! Hétérosexuel, quelle horreur ! » L'ironie est pesante mais M. Millet ne se rend même pas compte que les qualificatifs qu'il utilise, blanc, catholique, hétérosexuel, tracent le portrait-type du dominant dans nos sociétés occidentales, celui qui a fait la traite négrière, celui qui a organisé les massacres coloniaux... C'était le bon temps ! Mais il y a eu pire lorsque M. Millet nous a confessé sa souffrance en passant par la station de métro Châtelet, « un cauchemar absolu, je suis le seul homme blanc, quelle douleur ! » L'énormité du propos n'a été alors relevée ni par Giesbert le suffisant, ni par Podalydès, homme de gauche supposé qui en ont badiné. Voilà un type qui ne supporte la proximité que de ses semblables et qui refuse en fait l'universalité du genre humain : celui qui ne me ressemble pas est un ennemi ! Quel intellectuel misérable que cet intellectuel qui ne peut dépasser ce qui n'est qu'une réaction clanique primitive ! 5000 ans de civilisation pour en arriver là ! Mais quel intellectuel dangereux aussi, nous le verrons.
Notons que M. Millet a avoué être passé à la pratique. Il dit « ne pas supporter les mosquées » et s'est vanté d'avoir fait la guerre du Liban « au côté des Phalanges chrétiennes ». Il s'agit des Phalanges libanaises -leur vrai nom-, en fait la milice du parti Kataeb créé par et pour une famille de féodaux chrétiens, les Gemayel. Elles ont connu la gloire en septembre 1982 en perpétrant le massacre des Palestiniens des camps de Sabra et Chatila avec la bienveillante attention de l'armée israëlienne. M. Millet était-il de ce haut fait d'armes ?
27 mai 2012