Le racisme et l'Académie

Comme le remarque le sociologue Saïd Bouamama, aujourd'hui « les questions liées à l'immigration (et à ses enfants) ne sont plus posées à partir d'un vocabulaire de critique sociale (inégalité, injustice, classe sociale, sélection, discrimination) mais à partir d'une thématique essentialiste (nation, identité, communauté, etc.) (www.lmsi.net, 13 mars 2014). On assiste ainsi depuis un certain temps à une véritable ethnicisation des questions sociales produite aussi bien par le Front national que par des membres de l'élite intellectuelle, tel un tout récent académicien qui, entre autres saillies racistes, déploraient, en 2005, qu'il y ait trop de joueurs noirs dans l'équipe de France de football. Le journal israëlien qui l'invitait, Haaretz, a cru bon de préciser, on se demande pourquoi, que ces déclarations « n'émanaient pas d'un membre du Front national ».

     Un grand ami dudit nouvel académicien, un certain Renaud Camus, s'est attiré quelque gloriole d'abord en dénombrant, il y a quelques années, les Juifs, trop nombreux à son goût, dans une radio comme France Culture, puis en élucubrant une sorte de fable hallucinée nommée emphatiquement le « Grand Remplacement » (avec majuscules, s'il vous plaît!). Ce serait une espèce de complot grandiose visant à éradiquer toute la culture de l'Occident européen pour en évincer ses populations afin de laisser place aux pratiques, mœurs et religion plus ou moins douteuses de peuplades aussi bariolées qu'exotiques et surtout -horreur!- mahométanes. C'est ce qu'il faudrait appeler une « substitution de peuple ». Rien que ça ! Nos immigrés actuels sont donc stigmatisés comme les éclaireurs de cette invasion promise... Précisons qu'ils représentent actullement 5% de la population française... Mais ne vous y fiez pas : un Arabe fourbe et cruel reste un Arabe fourbe et cruel jusqu'à la cinquantième génération ! Le délicat M. Zemmour a bien compris la leçon, pour lui les malheureux noyés de Lampedusa sont des « envahisseurs » et, après tout, « ils prennent des risques ». Cela me rappelle cette obscure députée UMP, sous Sarkozy, dont je tairai le nom, qui préconisait de renvoyer ces misérables par les bateaux qui les avaient amenés ; ce à quoi, dans un micro-trottoir de France2, une rombière sexagénaire et emperlousée, très BCBG, ajoutait, débordante de haine, « et avec un trou au fond » !

     Il est quand même sidérant que des intellectuels comme notre néo-académicien, qui ont quand même lu des livres, accordent ne serait-ce qu'un minimum de crédit aux délires conspirationnistes de ce M. Camus ! Celui-ci bénéficie à vrai dire d'une assez large complaisance même s'il vient d'être tout de même condamné par la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris pour provocation à la haine raciale, à la suite de propos tenus en décembre 2010, constituant, selon le tribunal, « une très violente stigmatisation des musulmans présentés comme des « voyous », des « soldats », le bras armé de la conquête (…) des « colonisateurs » cherchant à rendre la vie impossible aux « indigènes », à les forcer « à fuir », « à évacuer le terrain » (…) ou bien, pis encore, à se soumettre sur place ». Bref Camus présente les musulmans « comme des guerriers envahisseurs dont le seul objectif est la destruction et le remplacement du peuple français et de sa civilisation par l'Islam ».

     Non seulement le nouvel académicien ne dément pas son excellent ami, mais il tient à illustrer ses fantasmes. Il analyse ainsi finement pourquoi la bonne commune picarde de Villers-Cotterêts, plus célèbre pour son édit, vient d'hériter d'un maire Front national : la maison du maître d'école aurait été transformée en mosquée, le restaurant savoyard en kebab, l'unique boucherie en boucherie halal ! Brrr... ça fait peur ! Quel symbole ! La mosquée qui supplante l'école... Sauf que la « mosquée » est ici une salle de prière aménagée dans une petite bâtisse qui, en fait de « maison du maître d'école » (on remarquera l'archaïsme roublard de l'expression), accueillait, il y a fort longtemps, les logements de fonction des institutrices de l'école maternelle voisine ; le « kebab » est un petit restaurant turc qui, depuis des années, vend du kebab ou des pizzas comme ailleurs des hamburgers et autres chef d'oeuvres de la malbouffe internationale ; quant au « halal », il y a deux boucheries à Villers-Cotterêts, pas la moindre trace de halal... Monsieur l'académicien ment, tout simplement...

 

21 avril 2014