Islamophobie et racisme chic
La peur, le rejet, la haine des « mulsumans » constituent aujourd'hui dans ce pays une réalité aussi grave et préoccupante qu'incontournable. Les guillemets s'imposent car ce terme, musulman, désigne aussi bien des personnes se reconnaissant dans l'Islam comme croyance que des personnes assignées, plus ou moins arbitrairement, à cette identité, sans avoir rien revendiqué, sur la seule base d'une origine ethnique. Le mot islamophobie paraît alors un peu réducteur pour désigner l'ostracisme envers toute une population ainsi constituée et homogénisée à seules fins de stigmatisation et de discrimination. Mais ce terme existe et on peut le voir -mais j'y reviendrai- comme l'expression euphémisée et rassurante -pour tant d'apôtres zélés récemment convertis à la laïcité- d'un racisme post-colomial qui fonde aujoud'hui l'ethnicisation des rapports sociaux. Cette population appartient globalement aux couches les plus pauvres de la société si bien qu'elle cumule un double racisme : ethnique et de classe. Ce qui fait, par exemple, s'interroger Benoît Bréville dans le Monde diplomatique (février 2015) : ne s'agit-il pas autant de « prolophobie » que d'islamophobie ?
On sait le rôle d'intellectuels médiatiques bien installés dans la dénonciation et l'anathémisation de ce mauvais objet idéal qu'est l'Islam, support de tous les fantasmes racistes et identitaires dans la production de l'idéologie dominante aujourd'hui. Dans un premier temps, la notion même d'islamophobie a été récusée avec indignation au nom des valeurs universelles d'une République à l'impeccable laïcité, garantissant la parfaite égalité entre tous les citoyens, autochtones et allogènes. On a même inventé une fable, popularisée par l'inévitable Caroline Fourest et l'inénarrable Pascal Bruckner, selon laquelle le mot islamophobie aurait été « forgé », en 1979, par les mollahs iraniens – le mollah iranien étant alors une figure obligée d'un effroyable intégrisme islamique dont on s'accommode aujourd'hui fort bien pour combattre Daesch... Les mollahs auraient fabriqué ce terme afin de stigmatiser les femmes refusant le tchador et d'interdire toute critique de l'Islam. Or ce terme, d'après Abdellahi Hajjat et Marwan Mohammad, n'a d'équivalent réel ni en persan ni en arabe (« Islamophobie, une invention française », www.islamophobie.hypothèses.org). En fait ce néologisme a été inventé au début du XXème siècle par des « administrateurs-ethnologues » français, spécialistes en « orientalisme ». L'un d'eux le définit ainsi : « un préjugé contre l'Islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d'aucuns, le musulman est l'ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l'Européen, l'islamisme est la négation de la civilisation et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu'on peut attendre de mieux des mahométans » (Alain Quellien, La politique musulmane dans l'Afrique occidentale française, 1910. Cité par Abdellahi Hajjat et Marwan Mohammad, art. cité)... Il y a plus de 100 ans... Et pas un mot à changer !
Et voilà, dans un deuxième temps, qu'il est maintenant de bon ton de se revendiquer islamophobe. On a vu ainsi Mme Elisabeth Badinter, tout auréolée d'une réputation de « féministe » bien convenable, proclamer sur France Inter qu'il « ne faut pas avoir peur de se faire traiter d'islamophobe », car il y aurait, paraît-il, aujourd'hui un « stop absolu » à l'islamophobie, une « interdiction de parler » imposée aux islamophobes ! On se demande dans quel pays vit cette dame. Comme si le fond de commerce islamophobe ne prospérait pas, avec ses stars envahissant studios de radio et plateaux de télévision, les Finkielkraut, Zemmour, Houellebecq, Fourest Bruckner, etc. et imposant à toute l'information mainstream la représentation d'un Islam inquiétant et dangereux, révéré par des individus dont il faut se défier car toujours suspects de sympathies terroristes... On connaissait l'étrange féminisme de Mme Badinter défendant la nécessité de la prostitution pour l'assouvissement des besoins irrépressibles du genre masculin... On savait sa détestation bornée des « femmes voilées »... La voilà maintenant propagandiste d'un « racisme chic » constitutif de « l'édification d'une hégémonie culturelle réactionnaire à base xénophobe qui part à la conquête de ce qui reste d'une intelligentsia un tant soit peu éclairée » (Julien Lacassagne, « Elisabeth Badinter ou le racisme chic », blog-médiapart, 16.01.2016).
21 mars 2016