Islamophobie « républicaine »

La noble entreprise de l'islamophobie a donc trouvé son égérie : Mme Elisabeth Badinter en personne. Celle-ci vient de lancer une grande campagne contre... des maisons de couture, H&M, Dolce et Gabanna... sous prétexte de « mode islamique » ! Il y avait urgence et, à l'évidence, il n'y a pas dans la société française de question plus pressante que la vogue supposée d'une « mode islamique ». Comment ne pas voir dans cette croisade aussi futile que risible une pauvre réponse à cette injonction de Valls lui-même : « Bien sûr, il y a l'économie et le chômage, mais l'essentiel, c'est la bataille culturelle et identitaire »… La ficelle est un peu grosse : il vaut mieux parler des supposés méfaits vestimentaires de l'Islam que de la lutte contre la loi El Khomri... Etrangement, on voit ainsi Mme Badinter se lancer dans la surenchère islamophobe comme pour faire oublier une démolition du Code du travail où M. Badinter, justement, a donné les premiers coups de pioche avec son rapport bâclé de janvier dernier. Un vrai travail d'équipe ! Ajoutons que le magazine Challenges (1-6.04.2016) nous apprend que l 'agence Publicis vient de signer un contrat avec l'Arabie Saoudite pour « redorer l'image » en France de ce paradis des droits de la femme. Mme Badinter est l'actionnaire principale de Publicis.  Qui a parlé de tartufferie ?

     La prescription gouvernementale est suivie par d'autres. Un ministre, c'est normal, M. Patrick Kanner, ministre de la ville, compte bien affoler les populations en annonçant « une centaine de Molenbeeck en France » (le Monde, 29.03.2016)... Molenbeeck, quartier (et non banlieue de Bruxelles) devenu malgré soi le symbole des horreurs du djihadisme et le nouvel instrument de stigmatisation des quartiers populaires. Grossièrement alarmiste et sociologiquement infondé, un tel propos n'est qu'un élément de la stratégie de la peur que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer. Mais encore, à croire que l'islamophobie devient une affaire d'Etat, une officine gouvernementale inspirée par Valls vient de se créer sous le nom de « Printemps républicain », en fait un groupuscule composé pour l'essentiel de quelques islamophobes confirmés qui mènent la barque dans le seul but de contrer l'Observatoire de la laïcité dont Valls déteste le président Jean-Louis Bianco. La prétendue laïcité affichée ici n'est qu'un triste racisme anti-arabe, qui peut enfin se démasquer et dont on peut en toute quiétude revendiquer la « légitimité ».

     Ces nouveaux inquisiteurs se sont donné mission de pourchasser l'infamie « islamo-gauchiste », qualificatif qui doit être considéré dans leur rhétorique comme très péjoratif. C'est une vraie croisade, avec toute une doxa islamophobe, des interdits, des fatwas, ou, plus exactement, une chasse aux sorcières comme on dit en pays chrétien. Une première victime en a été le journaliste Edwy Plenel, nommément désigné et injurié dans un texte étonnamment haineux qui est un véritable appel à la censure. Dans cette diatribe, les auteurs réclament rien de moins -et de quel droit, on se le demande- que Plenel soit viré de la direction du site Médiapart qu'il a fondé ! Quel est son crime ? Penser que l'on peut débattre avec les Musulmans, y compris ce Tariq Ramadan diabolisé depuis 20 ans par la doxa islamophobe.

     Le samedi 23 avril, j'ai assisté au débat organisé par les municipalités de Cadillac et de Loupiac et l'Association des Musulmans de Cadillac. Deux cents personnes ont pu écouter et débattre dans la sérénité et le respect mutuel, loin des invectives des racistes médiatiques. Le tout s'est terminé devant un couscous préparé par l'Association des Musulmans. Cela s'est passé en France, en 2016, et les fanatiques islamophobes du « Printemps républicain » n'y peuvent rien. On a parlé du « foulard » bien sûr. Une jeune femme « voilée » est venue dire avec éloquence la totale liberté de son choix, réduisant à néant les misérables âneries des Rossignol gouvernementales. Elle a ajouté que c'était ainsi qu'elle « vivait sa foi ». Pour moi, athée, cela n'évoque rien mais en tant que laïque je ne peux que la respecter. Ce fameux « foulard » n'est, en fait, affaire ni de religion ni de laïcité. Pierre Bourdieu, dès 1989, l'avait bien vu : « la question patente -faut-il ou non accepter à l'école le port du voile dit islamique ?- occulte la question latente -faut-il ou non acepter en France les immigrés d'origine nord-africaine ? » (Interventions, Agone, 2002, pp.305-306). L'islamophobie permet de donner à cette seconde question une réponse inavouable autrement.

 

2 mai 2016