D'un racisme à l'autre...

Le délire islamophobe s'est forgé en trois points analysés par Raphaël Liogier (ouvr. cité).  D'abord il y aurait une démographie galopante dans les familles dites musulmanes aboutissant à une proche submersion de la population dite de souche, fantasme alimenté par des chiffres aussi horrifiques que fantaisistes. En fait, il y a 4% de musulmans au sens large dans l'Union européenne et, pour l'INED, sur le critère consistant à se déclarer musulman, ils seraient en France 2,1 millions pour 2010 (chiffres cités par Raphaël Liogier, pp. 51 et 61) . Allons, on a encore un peu de temps... Deuxième délire : le complot. Il y aurait donc un plan concerté d'invasion visant à asservir au Coran les gentils chrétiens que nous sommes. En ce sens, l'Islam serait le communisme (avec Dieu) du XXIème siècle. A voir la manière dont les musulmans, chiites et sunnites par exemple, s'entre-tuent, on voit mal où est le centre du complot. Mais il faut y croire, sinon, troisième point, vous allez alimenter les hallucinations à la Finkielkraut qui ne voit que des renoncements partout, des horreurs du « multiculturalisme » à la démission des intellectuels, que lui, Finkielkraut, et quelques autres braves comme Zemmour s'évertuent à combattre bien qu'étant, comme on sait, complètement ignorés des médias.

     Toute cette fantasmagorie se fonde sur le préjugé selon lequel il y aurait en France une « communauté musulmane » homogène et bien identifiée. Sur le plan scientifique, en sociologie, la preuve de l'existence de cette « communauté » n'a nullement été établie, ne serait-ce que parce que l'usage de « statistiques ethniques » est légalement prohibé. C'est idéologiquement qu'a été construite cette entité forcément inquiétante et dangereuse pour les fumeuses chimères de « l'identité française ». Ce groupe constitué en niant les diversités d'origines, de situations, de conditions confine les individus dans une appartenance à laquelle on les blâme, en même temps de se rattacher, créant ce que j'ai désigné comme un conflit d'injonctions paradoxales. Cette analyse est partagée par Edwy Plenel qui écrit que « nos compatriotes musulmans, dans le même mouvement, sont assignés à leur origine et empêchés de la revendiquer » (Pour les musulmans, La Découverte, 2016, p.146). De même, pour le politologue Frank Fregosi, « les habitants des quartiers ont le sentiment de ne pas avoir de place dans la société française. Ils retournent donc le stigmate : puisque vous me voyez comme quelqu'un de différent, je vais cultiver mes différences » (cité dans le Monde, 14.06.2016). On croit pouvoir occulter l'arbitraire de cette assignation en surestimant le rôle de la religion, l'Islam, dont on va surmultiplier les signes extérieurs du culte et dénoncer des centaines de mosquées là où le ministère de l'intérieur, en 2009, n'en recensait que 69 ! Je reviendrai sur cette mise en scène calculée de la religion. La religion ici n'est qu'une apparence, certes d'importance, elle est surtout l'expression d'une détresse face aux discriminations et au racisme.

     On aura remarqué comment les médias en ce moment brandissent à tout propos l'épouvantail de la « radicalisation » : « radicalisation » de l'Islam, « radicalisation » de la CGT ! Un cliché qui dispense de toute analyse et sert aussi bien le racisme ethnique que le racisme de classe. Les bons esprits nous ont dit que la classe ouvrière avait disparu et que ce qu'il en restait votait Front national. Et puis voilà qu'elle se manifeste, suscitant immédiatement, comme d'habitude, la haine des Versaillais de toujours qui ne rêvent que fusillade de cette vile plèbe d'agitateurs... C'est ce que signifie cette sidérante violence verbale qui a déferlé dans les médias et sur internet...Voyous, terroristes, groupuscule stalinien, naturel bolchevik, énergumènes odieux et irresponsables qui ne savent que beugler... Sans parler des attaques personnelles abjectes contre Philippe Martinez ! Faible échantillon d'une haine de classe redevenue dicible avec l'onction, bien entendu, de la social-démocratie. C'est la haine ancestrale de la bourgeoisie contre les « salopards en casquette » comme on disait au temps du Front populaire, un Front populaire dont le pouvoir socialiste s'efforce de zapper le 80ème anniversaire. Valls préfère Jules Moch le fusilleur à Léon Blum le réformateur.

     Racisme ethnique, racisme culturel, racisme de classe sont différentes formes de la domination. Les révoltes des dominés doivent être disqualifiées comme infâmes et violentes. Il en toujours été ainsi des luttes des opprimés dans l'histoire.

 

12 juin 2016