Décolonialisme

 

 

Les élites politiques et intellectuelles françaises n'ont jamais réussi à vraiment assumer la honteuse entreprise coloniale et son cortèges d'horreurs. Le Parti communiste français, par contre, s'honore d'avoir, dès sa création, mené une vigoureuse lutte anticoloniale. Courageuse car minoritaire ainsi de la campagne contre la guerre du Rif (1921-1926) où la puissance coloniale entendait écraser la révolte menée par l'émir berbère Abd el Krim. On tait pudiquement encore aujourd'hui qu'une Sainte Alliance, Lyautey-Franco-Pétain, réprima les insurgés marocains à l'arme chimique, le fameux gaz moutarde, tandis que le Comité central du PCF lançait comme mot d'ordre :« Paix immédiate avec le Rif

Fraternisation des soldats français et rifains

Reconnaissance de la République rifaine

Evacuation immédiate du Maroc » (Appel du 14 mars 1925, cité dans Histoire du Parti communiste français (manuel), Editions sociales, 1964, p.163).

Même combat contre l'intervention militaire de 1925 en Syrie qui entendait châtier la révolte druze menée par Sultan al-Atrach contre le mandat français. Les Weygand-Sarrail-Gamelin purent s'y couvrir de « gloire » : Villages réduits en cendres, cadavres exposés, Damas bombardée et incendiée... Et on donne des leçons d'humanité à Bachar el Hassad !

Etrange mélange de déni et de bonne conscience que cette mémoire française de la colonisation. C'est encore sans doute l'intellectuel camerounais Achille Mbembe qui en parle le plus justement : « La France n'a guère ouvertement assumé son passé esclavagiste ni reconnu les crimes coloniaux qu'elle a commis (…). Très souvent elle a fait montre d'une flagrante incapacité à dire la vérité ou encore elle a voulu minimiser sa responsabilité, animée qu'elle est par la peur de l'opprobre, des réparations et des demandes justifiées de compensation (…) » (l'Obs, 13.02.2020). Mbembe rappelle aussi la guerre de décolonisation au Cameroun dans les années 1950 et 1960, quand, en 1960, la France, sur ordre du Premier ministre Michel Debré, conseillé par le sinistre Foccard, fit assassiner par le SDECE le leader indépendantiste Félix Moumié. Au milieu des années 50, la répression par l'armée coloniale française avait déjà fait plusieurs milliers de victimes au Cameroun... Et il faudrait oublier tout cela pour ne pas entacher ce que Alain Accardo appelle la « légende nationale-chauvine », laquelle n'a rien de commun avec un authentique patriotisme : « le peuple français réel serait le peuple vertueux par excellence, dont les ancestrales qualités de cœur et d'esprit seraient immémorialement enracinées dans son terroir et son histoire, d'où elles n'auraient cessé de percoler à travers toute la planète » ( La Décroissance, n°167, mars 2020).

Le repentir, notion religieuse qui ne mène à rien n'a pas ici sa place. Ce qu'il faut, c'est reconnaître, réparer et, comme le dit toujours Achille Mbembe, dans le même entretien de l'Obs, « mener un travail culturel et politique de resymbolisation qui n'a jamais été accompli ou alors à marche forcée ». Il y a eu les études post-coloniales (Franz Fanon, Edward Saïd, Aimé Césaire...), aujourd'hui se structure un nouveau paradigme, celui des études décoloniales, un courant de recherches initié en particulier par des intellectuels latino-américains. Les opprimés coloniaux se sont emparés des armes de la raison et ont entrepris de forger leurs propres concepts contre l'impérialisme de la pensée eurocentrique... Ce qui met en rage les chiens de garde officiels à la Finkielkraut de l'idéologie impériale occidentale, ces « privilégiés du point de vue du sexe, de l'ethnie ou de la position sociale qui, détenant un monopole de fait des conditions d'appropriation de l'universel, s'octroient par surcroît la légitimation de leur monopole » (Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil Essais, 2003, p.103).

On n'est pas obligé de partager toutes les thèses établies par les théoriciens des études décoloniales mais avant de les anathématiser il faudrait écouter leurs analyses même si elles dérangent quand elles soulignent la persistance des rapports de pouvoir issus de la colonisation (colonialité) ou la persistance des discriminations raciales alors que la notion de race est apparemment disqualifiée (racialisation), etc.

 

NIR 241. 26 février 2020.