Démagogie sécuritaire

 

On voit bien que l’on arrive dans une période préélectorale quand s’étale avec toujours plus de cynisme la démagogie sécuritaire . Jusqu’aux plus hauts sommets de l’État, on agite mécaniquement d’obscurs épouvantails (« indigénisme », « séparatisme », « communautarisme ») que personne ne revendique mais que l’on imagine imparables pour effrayer le bourgeois. « Indigénisme » ? C’est une théorie et un mouvement politiques latino-américains de défense et de promotion des cultures amérindiennes. Les situations socio-politiques ne sont guère comparables mais il faut peut-être méditer ce qu’en disait José Carlos Mariategui, fondateur du Parti communiste péruvien : « les masses, la classe des travailleurs, sont pour quatre cinquièmes indigènes. Notre socialisme ne sera pas péruvien, ni même socialiste, s’il ne se solidarise pas avec les revendications indigènes » (Wikipedia). Cela dit, on cherchera en vain, en France, l’ombre de revendications proprement « indigénistes »… Même le Parti des Indigènes de la République qui concentre la haine inextinguible de toutes les factions réactionnaires n’assume pas le terme « indigène » comme un emblème mais bien, et avec raison, comme un stigmate (fut-ce en le retournant), héritage aux effets encore trop évidents de plusieurs siècles d’une domination qui fut, qu’on le veuille ou non, blanche ! Qui donc a inventé le Code de l’Indigénat après avoir forgé le Code noir pour l’esclavage ?

« Séparatisme » ? De qui ? De quoi ? Les dernières occurrences en furent le séparatisme basque d’ETA et le séparatisme corse du FLNC. Tout le reste n’est que fantasme, mensonge, au mieux mauvaise foi. « Communautarisme » ? Ah, l’inexpiable péché contre les merveilles supposées de l’universalisme républicain! M. Bruno Dive, toujours à la pointe du conservatisme le plus agressif, proclame dans Sud-Ouest que « la République, c’est d’abord l’intégration, cette intégration que combattent tous ceux qui prônent le repli sur leur communauté » (05.09.2020). C’est exactement le contraire : c’est le refus, dans les faits, de leur intégration qui motive le combat des exclus de la race. Refus feutré, jamais assumé, que l’on euphémise en « discrimination ». Un éditorial du Monde l’exprime, avec modération, bien sûr, mais contre M. Dive : « le système français est inégalitaire. Les discriminations à l’embauche, en fonction de la couleur de la peau ou du lieu de résidence sont avérées, l’intégration reste un parcours du combattant » (05.09 2020). Rappelons que le modèle français d’intégration suppose une égalité des droits et des devoirs dans le respect des particularismes aussi spécifiques soient-ils… Il est devenu un leurre qui ne trompe plus les intéressés. Ainsi, comme le remarque Roger Martelli, « il est vrai (que) quand des discriminés ne trouvent pas dans l’espace public la protection et la reconnaissance qu’ils espèrent, ils peuvent se laisser aller à la tentation de se constituer en communauté protectrice à part (…). Est-ce en discriminant un peu plus dans les mots, fut-ce au nom de l’universalisme, que l’on conjure les séparations possibles dans les têtes et les actes ? » (« Discours du Panthéon : pauvre République », www.regards.fr, 09.09.2020.

Il se trouve que des spécialistes des sciences sociales et politiques s’efforcent de théoriser cette situation et d’inventer des concepts permettant d’accéder à sa compréhension : « racisé », « racisme d’Etat », « décolonial », « privilège blanc »… toutes notions à travailler, discuter, contester au besoin mais à examiner… Pour prendre deux de ces concepts, la racisation est conçue comme un processus de construction sociale et politique consistant à réduire l’autre à ses traits, sa religion, sa couleur de peau. Qui peut en nier l’existence ? La colonialité est une notion élaborée par des chercheurs latino-américains : à partir du XVIème siècle, le capitalisme s’est constitué en système-monde avec le commerce triangulaire, l’esclavage puis le colonialisme. La mondialisation moderne n’en est que la continuation ainsi qu’en témoignent des institutions telles que le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Banque mondiale… La pensée décoloniale est fondamentalement anticapitaliste. Ce qui est impardonnable !

 

NIR 253. 16 septembre 2020