Un racisme distingué

 

 

L’histoire en témoigne, toute révolte des dominés contre la condition qui leur est faite suscite immanquablement incompréhension, vindicte et appel à la répression chez les champions des différentes formes de l’ordre établi. Et quand ces dominés, mobilisant les armes de la connaissance et de la raison, entreprennent de théoriser eux-mêmes les causes de leur situation d’aliénation, la rage et le mépris des conservateurs redoublent de violence. Comment ? Ces moricauds croient qu’ils peuvent penser ! Qu’ils peuvent remettre en cause les tabous de l’ordre symbolique occidental ! Qu’ils pourraient ne plus s’incliner avec humilité devant ce que Bourdieu appelle l’impérialisme de l’universel ! Ainsi la publication sur lemonde.fr, le 26 juin 2020, de quelques définitions de nouveaux concepts de l’antiracisme a suscité une avalanche de commentaires aussi indignés qu’édifiants : mépris raciste bien pensant, bonne conscience, revendication de supériorité blanche… Sous le couvert d’un bien commode anonymat, les instincts refoulés les plus vils se déboutonnent sans vergogne.

Il faut d’abord frapper d’illégitimité toute pensée qui ne serait pas conforme aux canons d’un humanisme occidentalo-européen dont on sait qu’il s’est fort bien accommodé des horreurs de la Traite négrière et des massacres coloniaux : « indigence intellectuelle », « ineptie idéologique », « salmigondis pseudo-scientifique » « sans intérêt pour la connaissance », etc. Bien sûr. Curieusement, l’accusation principale est qu’il s’agirait d’idées importées des USA et de leur campus ! La France, patrie des Droits de l’Homme, serait donc lavée de tout soupçon de racisme… Le journal le Monde est lui-même qualifié de « gauchiste » qui « divorce de ses lecteurs ». Autre paradoxe, l’antiracisme des racisés serait en fait du racisme parce que « obsédé d’origine et de couleur de peau ». Vous allez voir qu’ils inventent sans doute aussi les discriminations permanentes dont ils sont l’objet… On sait qu’il y a déjà pas mal de temps que M. Finkielkraut prêche cette jobardise.

Les thèmes lepénistes ne sont jamais bien loin : il y aurait de « très nombreuses agressions des Blancs par des Noirs et des Arabes », « le Blanc est comme un coupable par défaut », « nous avons été conditionné à être de gentilles personnes (sic) », etc. Sans oublier le couplet sur « les migrants qui viennent chercher une ressource rare sans y être invité, boulot, salaire et protection sociale et qui réclament plus de richesse ». Les goinfres ! Pourtant « la France redistribue énormément d’argent, école gratuite, bourses, logements pas chers (?)… (Ils ont) la chance d’être là… (il faut) chercher, bosser, mériter ». On reconnaîtra ici sans peine le gros bourgeois louis-philippard gavé et satisfait de lui-même. Il lui faut aussi s’indigner avec inventivité de ces « coutumes interdites en France mais tolérées et subventionnées (?) : polygamie, familles nombreuses, surdélinquance », dénoncer « ces immigrés récents qui ont allocs, aide sociale, école gratuite, cantine (et qui) osent réclamer une plus grande part du gâteau ». Sans oublier que, comme l’a professé Zemmour, leur maître à tous (il a même été condamné pour ça), s’il y a des contrôles policiers, c’est qu’il existe une « forte délinquance des personnes de couleur ».

Rappelons que ces consternantes obscénités racistes sont le fait d’un lectorat supposé cultivé d’où le refrain de la défense de l’Occident et de « l’identité française »… Cet Occident qui a « inventé le discours d’égalité » (en « oubliant » de l’appliquer) et « introduit en Afrique les progrès médicaux »… Les 17 000 morts de la ligne ferroviaire Congo-Océan (1921-1934) n’ont pas eu le temps d’y goûter ! Dommages collatéraux. Avec le « discours d’égalité » et l’abolition de l’esclavage, les Blancs n’ont fait que du bien à l’Afrique. C’est prouvé. Et la France, monsieur ! Il paraît que le journal le Monde « poursuit sa tâche forcenée de l’effacement de l’identité culturelle et historique de notre pays ». Voilà qui est crédible. Quant aux racisés, « ce sont des colons (si, si!) qui veulent imposer leur vision politique victimaire, essentialiste et dangereusement raciste ». Tout en nuance. Enfin, la perle ; « Il est grand temps de réaffirmer l’identité nationale française universaliste et politique fondée sur un récit national inclusif, y compris les Gaulois ». Allons, le crétinisme nationaliste à la Déroulède a encore quelques beaux jours devant lui…

 

NIR 254. 30 septembre 2020.