La Traite négrière ?… Un détail !

 

 

Ou pourrait penser qu’une entreprise aussi criminelle pour toute l’humanité que la Traite négrière est aujourd’hui condamnée unanimement et sans réserves. Hé bien, ce n’est pas si simple. Certes, personne ne peut avoir le front de justifier un tant soit peu cette dégradante pratique. Comme on va cependant le voir, certains, au nom de l’histoire, se sont découvert des trésors d’indulgence et de compréhension pour le commerce des êtres humains, au moins lorsqu’il a été pratiqué par les Européens. La circonstance réside dans un nouvel article du journal le Monde intitulé : « La traite négrière, passé occulté par les entreprises françaises ». Pas de révélations mais un rappel de faits il est vrai peu connus : d’honorables entreprises d’aujourd’hui, prospères et célèbres, sont les héritières de devancières qui ont plus ou moins directement profité de la traite transatlantique. On cite AXA, la Banque de France (hé oui!), Hennessy, à Bordeaux Marie-Brizard, sans parler d’autres banques, en particulier au Royaume-Uni, Lloyds Bank, Royal Bank of Scotland, etc. Et l’économiste béninois Lionel Zinsou de conclure : « ne pas s’intéresser à cette histoire, c’est ignorer que l’esclavage a été central dans la construction du capitalisme français ».

C’en était trop pour cette fraction ultraréactionnaire dans le lectorat du Monde dont on commence à bien connaître le racisme pontifiant et hautain bien que très ordinaire. L’article est suivi sur lemonde.fr (10.09.2020) de 177 commentaires volant dans leur quasi totalité au secours des entreprises soupçonnées. On y trouve la même rhétorique s’efforçant de minimiser et relativiser l’ignominie de la Traite, le même « humour » racoleur cachant mal une rancoeur raciste de moins en moins refoulée… Ce nouveau corpus va nous permettre de compléter (et clore provisoirement) l’analyse de ce néo-racisme satisfait qui se répand ouvertement dans des classes moyennes supérieures prétendument informées.

Pour l’ultralibéralisme, « l’esprit d’entreprise » justifie tout. Il faut voir l’ardeur mise à défendre les « entreprises » : non ! AXA n’est pas coupable, « pas responsable en 2020 d’actes condamnables il y a plusieurs siècles » ; il n’y a pas à « s’excuser de crimes qu’elles n’ont pas commis »… Allez on efface tout et on recommence… Reprise significative d’un discours bien connu, un commentaire nous assure que tout cela « ce n’est que du détail ». Il est vrai que l’histoire fourmille de ce genre de « détails »… Et puis un fin psychologue nous informe que « les esclavagistes n’avaient pas conscience de mal agir ». Les braves gens, ils pensaient travailler au bien de l’humanité… Le bouquet : figurez-vous que « après tout, la Traite à l’époque était légale (sic) ». C’est que « Colbert a légalisé l’esclavage », donc « traite négrière et esclavage étaient des activités légales à l’époque ». Et le commentaire ose cette énormité : « Donc où est le problème ? » Il ne voit pas… Il faut comprendre que tout ce qui est « légal » et surtout profitable à « l’entreprise » est légitime et il n’y a pas de morale ou d’humanisme (que l’on brandit par ailleurs) qui tiennent. Cette conjonction du cynisme ultralibéral et d’une sorte de racisme de confort ne saurait surprendre.

Il ne manque pas non plus d’historiens du dimanche pour nous informer que « la pratique de l’esclavage est vieille comme le monde » et même pour reprendre ce cliché inusable selon lequel « l’homme est un loup pour l’homme ». Mais surtout nos censeurs croient tenir quitte les Européens de tout forfait en accusant l’esclavagisme des « potentats africains » : « les Européens n’ont pas asservi des noirs, ils ont acheté des esclaves asservis par d’autres noirs » ; « les esclaves étaient vendus aux négriers par les potentats locaux » ; « les premiers esclavagistes des Africains étaient des Africains » ; etc. Ouf, c’est pas nous, c’est eux. En fait le fait est largement documenté et les flots de commentaires le reprennent tout en se plaignant qu’on « n’en parle jamais »! Pour tout dire, les Européens n’ont rien à se reprocher. Ils passaient par là. D’infâmes tyranneaux noirs et arabes leur ont proposé de bonnes affaires. Ils auraient eu tort de s’en priver. C’était du simple commerce lequel, selon Montesquieu, adoucit les mœurs et maintient la paix… Même quand les marchandises sont des êtres humains ! (à suivre).

 

NIR 256. 28 octobre 2020