La Traite négrière ?… Un détail ! (suite)
Complétons le portrait du bourgeois néo-raciste tel qu’il s’épanouit dans le lectorat du journal le Monde. C’est en synthétisant la croyance éperdue dans les vertus de la libre-entreprise et les obsessions haineuses du Rassemblement national qu’il se découvre des trésors d’indulgence pour la Traite négrière. On a droit bien sûr à l’inévitable couplet sur une soi-disant « repentance », notion religieuse qui est ici hors de propos : « pas de repentance perpétuelle », « autoflagellation », « à quoi bon exhumer des soi-disant méchants du passé »… Il y a ceux qui croient leur petite personne mise en cause : « personnellement je ne me sens pas responsable de l’esclavage », « mes ancêtres n’y sont pour rien »… C’est sans doute ce qui s’appelle de la hauteur de vue… Certains s’essayent à l’humour lourdingue : les Gaulois doivent-ils demander des comptes aux Romains pour les exactions de Jules César (?!). Un autre, plus finaud, se demande s’il doit réclamer réparation en tant que descendant supposé de serfs… Tout cela est assez lamentable mais révélateur de la bassesse d’esprit du bourgeois qui n’a pour seul horizon, selon les mots de Marx, que « le froid intérêt et les dures exigences du paiement au comptant ». En foi de quoi les revendications des descendants d’esclaves ne peuvent être que matérielles : « derrière tout cela il y a une question d’argent », « ils ne pensent qu’en termes d’espèces sonnantes et trébuchantes », « on demande aux entreprises d’ouvrir leur portefeuille », « il ne nous reste plus qu’à ouvrir les chéquiers »… et rien n’est plus cruel pour le bourgeois. On ne juge jamais qu’en fonction de soi-même.
Quelques uns tentent cependant de sauver l’honneur de l’Occident blanc, ce qui nous vaut une énormité selon laquelle « la colonisation avait notamment pour but de supprimer l’esclavage chez les sauvages qui vivaient à l’âge de pierre (sic) ». Certes ce genre de balourdise est rarement vraiment soutenu mais il reste l’idée que c’est bien « nos sociétés qui ont aboli l’esclavage ». Qu’en est-il ? C’est, comme le dit l’intellectuel guadeloupéen Joao Gabriel, tout « le récit étatique et paternaliste d’une abolition « offerte » aux Afrodescendants ». C’est toute l’imposture du Roman national républicain qui veut que « l’abolition de 1848 soit l’affaire d’un seul homme Victor Schoelcher » (Violaine Morin, le Monde, 10.10.2020). En fait, l’abolition de l’esclavage est le produit de la convergence de trois facteurs. Celui qui est toujours mis en avant, les « considérations morales dans le discours abolitionniste » (Joao Gabriel), n’est sans doute pas le plus déterminant. Le deuxième facteur, généralement ignoré ou sous-estimé, c’est la permanence des révoltes, résistances et rébellions dont le marronnage n’était qu’une des expressions et la révolution haïtienne, dès les années 1790, la forme la plus aboutie. Le troisième facteur est évidemment économique lorsqu’il apparaît, avec la révolution industrielle, que le travail dit libre est plus rentable que l’esclavage.Le discours de Macron du 10 mai 2020 s’en tient benoîtement au premier facteur, un discours « républicain » orthodoxe qui censure la guerre atroce menée contre la révolution haïtienne, les exactions de Rochambeau et ses chiens « tueurs de nègres », le tribut exorbitant imposé à Haïti sous la forme d’une dette à l’État français jusqu’en 1885 et qui a plongé jusqu’à aujourd’hui le pays dans la misère. Sait-on assez que les colons esclavagistes ont été largement indemnisés par la Deuxième République après l’abolition de 1848… Et puis ce fut le colonialisme qui n’a été que la continuation de l’esclavage par d’autres moyens avec cette sorte de disposition transitoire qu’a été en Afrique le travail forcé.
Ces immenses entreprises d’oppression et d’exploitation que furent la Traite transatlantique et la colonisation ont été conduites par des Européens blancs. Cela n’implique pas de responsabilité ou de culpabilité collectives mais ne saurait rester sans traces dans la mémoire des opprimés. Le mot « nègre », traduction du portugais negro, désigne dès le XVIIème siècle l’esclave africain. Cette assignation structure depuis quatre siècles les rapports de prédation imposés par les élites occidentales au reste du monde. Est-ce qu’en faire l’indispensable histoire doit forcément valoir à qui s’y risque les épithètes supposées infamantes de « racialiste », « indigéniste », « décolonial » ? Les chiens de garde de l’ordre établi y veillent. On va le voir...
NIR 257. 18 novembre 2020