Maccarthysme à l’université

 

Alors que le macronisme montre son vrai visage de pouvoir autoritaire, qu’il dévoile sa stratégie (qui n’est pas une dérive) de démagogie sécuritaire et, sous l’appellation de « sûreté globale », lance sa police contre la liberté de manifestation, de la presse, etc...Alors que, plus particulièrement, l’ensemble de l’université (un Collectif de 4600 chercheurs et professeurs entre autres, le Monde, 26.11.2020) se dresse contre la dégradation des études universitaires et de la recherche par la Loi pluriannuelle de programmation de la recherche (LPPR) de la ministre Frédérique Vidal, précarisant encore davantage les jeunes enseignants avec des « CDI de mission » ou des chaires au rabais ridiculement nommés de « professeurs juniors »… Hé bien il se trouve quelques dizaines d’universitaires (ou, plus souvent, ex-universitaires) pour agiter un épouvantail inconsistant, l’ « islamo-gauchisme », récupéré dans les poubelles de l’extrême-droite. Cela donne un texte de tribune consternant, bâclé, sommaire mais infâme dans ses conclusions (le Monde, 1/2.11.2020). Les signataires en tête de gondole sont les vieux chevaux de retour habituels, les conservateurs indécrottables à la Luc Ferry, le même qui voulait flinguer les Gilets jaunes, ou les néo-réactionnaires de « gauche » à la Marcel Gauchet. Beaucoup sont professeurs émérites ou honoraires, c’est-à-dire retraités, ce qui est parfaitement honorable mais permet de douter de leur réelle connaissance de l’université aujourd’hui…

Il paraît donc que le principal danger pour l’université française, ce n’est pas la désastreuse LPPR du gouvernement mais un « indigénisme » prêchant « la haine des Blancs et de la France ». La diversion est assez misérable. La Conférence des présidents d’université (CPU) elle-même est tancée parce que, garante justement des libertés académiques, elle considère que « la recherche n’est pas responsable des maux de la société, elles les analyse ». On est donc censé frissonner de frayeur devant ces hordes de « multiculturalistes » colorés venant enseigner une « idéologie décoloniale » que les pétitionnaires réprouvent parce que c’est mal et il faut donc la censurer. Parce qu’on en est là : c’est tout de même assez stupéfiant que des intellectuels, certes de cour, en soit à demander l’instauration d’une police de la pensée. Comment appeler autrement la demande à la ministre de « mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent ». On est en pleine chasse aux sorcières : attention à vos propos, soyez idéologiquement corrects ou vous risquez d’être « détectés » !

Sur leur site internet (www.manifestedes90.wixsite.com), les pétitionnaires se plaignent qu’on ait mal interprété leurs intentions… Non, disent-ils, ils ne veulent pas du tout attenter aux libertés académiques… Ce qui ne les empêche pas de passer à l’acte en dénonçant nommément quelques uns de leurs collègues, Ludivine Bantigny, historienne, François Burgat, islamologue et politologue, Nacira Guénif, sociologue et anthropologue, etc. Allons, ça commence bien et le comité d’épuration qu’il leur faudra bien mettre en place aura déjà des cas à examiner. Et ce n’est pas tout, nos justiciers demandent au ministre Blanquer, leur inspirateur, de créer une « instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et la liberté académique »… En termes moins choisis : une Commission MacCarthy… Et pour couronner le tout, il faudrait un « guide de réponses adaptées ». Après le flicage, le caporalisme !

La droite, sous Vichy en particulier, a toujours suspecté la « loyauté » des enseignants. La droite sénatoriale en a donc rajouté une couche avec un amendement à la LPPR soumettant l’exercice des libertés académiques au « respect des valeurs de la République ». L’ennui, comme le remarque le politologue Jean-François Bayart, c’est que ces valeurs n’ont jamais « fait l’objet d’une définition juridique et réglementaire » (le Monde, 31.10.2020). Ce que confirme un Collectif de professeurs et chercheurs ( François Dubet, Thomas Piketty, Pierre Rosanvallon, plusieurs universitaires bordelais…) pour qui ces valeurs sont « parfaitement indéterminées et dépourvues d’inscription légale », ajoutant que la lutte contre le terrorisme « ne peut pas consister dans une chasse aux sorcières fondée sur l’hypothèse ubuesque selon laquelle les terroristes auraient été guidés par des « études décoloniales » dont ils ignorent l’existence » (le Monde, 02.11.2020).

 

NIR 258. 2 novembre 2020