La race est une construction sociale
Nul n’ignore la présence du racisme dans le sport. Et le football. Et le football professionnel. Il est de coutume d’incriminer les spectateurs, les joueurs. Et voilà que c’est un arbitre, tout ce qu’il y a d’officiel, qui s’autorise à désigner un responsable de l’équipe turque opposée au PSG en Ligue des champions, par la couleur de sa peau. Alors il paraît que l’arbitre étant roumain, « negru » en roumain, ce n’est pas grave, sauf que la personne visée était bien distinguée par sa seule apparence et non par sa fonction. Le plus important est que les joueurs, tant de l’équipe parisienne que de l’équipe turque ont réagi. On peut ironiser sur ces sportifs, certains sont cousus d’or, cela ne les prive pas complètement de conscience politique. Ils ont protesté et, aux yeux des instances officielles, ils ont commis l’irréparable : ils ont arrêté définitivement le match ! Horreur ! Et la recette ? Et les droits télé ? Les manifestations antiracistes se multiplient ainsi dans le sport, le bon exemple venant, une fois n’est pas coutume, il faut bien le dire, des Etats-Unis.
Cela inquiète les habituels conservateurs, obsédés par la préservation de l’ordre des choses, apeurés par tout ce qui risque perturber la hiérarchie des classements sociaux. Sur l’affaire qui nous intéresse, ils sont deux à avoir dit quasiment la même chose à quelques minutes d’intervalles sur deux télévisions différentes. A croire qu’ils ont un Comité central… Aussi bien M. Geoffroy Lejeune, de Valeurs actuelles, sur CNews que Mme Natacha Polony, de Marianne, sur BFM-TV s’efforcent, sans trop de conviction, il est vrai, de plaider la « maladresse » ! C’est fou toutes ces maladresses qui s’accumulent sur un individu pour peu qu’il soit un peu bronzé… Mme Polony revendique de pouvoir nommer le « réel » : mais qu’est-ce que c’est le « réel » de Mme Polony sinon celui qu’elle a reconstruit conformément à sa représentation du monde. Elle ne sait pas ça ?
Et puis il y a cette argutie du journaliste de Valeurs actuelles selon laquelle un blanc dans un groupe de noirs serait distingué de la même façon qu’un noir dans un groupe de blancs. C’est évidement faux. Cette fable a été reprise dans une émission de la chaîne l’Equipe par un autre journaliste, Dominique Grimaud. Vikash Dhorasoo, consultant et ancien international, lui a parfaitement répondu : dans une situation de domination historiquement fondée sur l’esclavage et la colonisation, il n’y a pas égalité entre le noir et le blanc, le noir dans un groupe de blancs est toujours un dominé, le blanc dans un groupe de noirs est toujours un dominant. C’est le résultat de trois siècles de servitude et c’est cela qu’il faut déconstruire. On rejoint ici les réflexions d’un autre ex-footballeur international, Lilian Thuram, champion du monde 1998 que j’ai déjà cité. Ce qu’il appelle la « pensée blanche » est bien la « construction d’un sentiment de supériorité » (l’Obs, 01.10.2020) : être blanc, « c’est mieux », c’est être « normal ». Ce n’est pas par hasard et Thuram le rappelle : « la construction de catégories discriminatoires n’est pas une construction seulement européenne mais il n’y a qu’en Occident que des scientifiques ont théorisé l’existence de races en fonction de la couleur de la peau dont l’une, la blanche, serait supérieure aux autres ».
On va retrouver ici le triste libelle maccarthyste évoqué dans ma précédente chronique. Toute la science sociale s’accorde sur l’idée ainsi énoncée par Mina Idir, responsable de la Commission nationale Lutte contre le racisme et pour l’égalité du PCF : « le racisme est un rapport social spécifique de domination et la race est une construction sociale » (Cause commune, n° 17, mai-juin 2020). Hé bien pour les réacs endurcis du « Manifeste des 90 », le « socialement construit », d’après leur site internet, n’est qu’un « lieu commun figurant en bonne place dans le bêtisier sociologique ». Le racisme vient donc de nulle part sinon de notre seul entendement. Les mêmes d’ailleurs révèlent leur véritable ennemi : « le constructivisme-critique hérité du pire post-modernisme foucaldo-bourdieusien ». Mais c’est bien sûr ! Au XIXème siècle les conservateurs s’effrayaient des idées de progrès : C’est la faute à Voltaire ! C’est la faute à Rousseau ! Leurs héritiers du XXIème s’affolent de même : C’est la faute à Bourdieu ! C’est la faute à Foucault ! Les voilà les inspirateurs de l’islamo-gauchisme ! Idéologues rancis, les Bruckner, Ferry, Nora, Julliard, etc. croient peut-être tenir leur revanche… La revanche de médiocres qu’on oubliera face aux géants que sont Bourdieu et Foucault !
NIR259. 16 décembre 2020