Postures et impostures intellectuelles

Entendu il y a quelques jours dans l’émission « Les Matins de France Culture », cette assertion sidérante : « les intellectuels de gauche sont à l’origine de la guerre en Libye »! Ce qui est déjà leur accorder une importance exorbitante. Mais surtout j’étais perplexe : qui sont donc ces personnages tout-puissants? J’ai trouvé : LES intellectuels de gauche, c’est Bernard-Henry Lévy! On connaît la boursouflure du personnage, de là à être l’ensemble des intellectuels de gauche... Et d’abord est-il seulement de gauche? On sait sa propension à mettre en scène sa propre gloire, le soin qu’il met à peaufiner son personnage . Son « reportage » dans Le Journal du dimanche du 6 mars était avant tout une scénographie de « BHL en Libye » avec une demi-douzaine de photos : BHL devant la foule, BHL conversant avec des insurgés, BHL au pied des ruines... Faute d’une œuvre philosophique digne de ce nom, il faut bien entretenir le mythe. Les meilleurs connaisseurs de l’importance réelle des intellectuels français, ce sont les campus américains, ils ne s’y trompent pas, on y étudie Derrida, Foucault, Bourdieu, aujourd’hui Badiou mais la « pensée » de BHL -quand elle est connue- n’a jamais été prise au sérieux malgré son américanophilie proclamée. « Je me fais le porte-parole modeste (si! si!) des Libyens », disait notre héros, sur Europe1, le 20 mars. ACRIMEDa relevé au moins 22 interventions du modeste porte-parole dans nos médias radiotélévisés entre le 1er et le 24 mars. Sans compter la presse écrite.
J’ajoute néanmoins qu’après recherche, j’ai fini par trouver une liste de 17 personnages ayant appelé, avec BHL, le 16 mars à la guerre en Libye. Hélas, il ne s’agit que de ses pâles comparses habituels, les Bruckner, Glucksmann, Goupil, Kouchner, Rolin, Cohn-Bendit, etc. Des va-t-en guerre indécrottables, les mêmes qui avaient célébré la guerre américaine en Irak, ce dont d’ailleurs ils oublient de se vanter tout en reprenant les mêmes rodomontades. Ce sont toujours les mêmes, répétant à satiété qu’il fallait éviter un bain de sang virtuel à Benghazi, qui se sont parfaitement accommodés, quand ils ne l’ont pas justifié, du bain de sang, bien réel, lui, à Gaza... A noter la présence sur cette liste d’un certain Antoine Sfeir, invariablement convié dans les médias comme « expert » des questions arabes et qui s’était particulièrement illustré jusque là comme laudateur du régime de Ben Ali en Tunisie. Ce qui relève ou de la connivence ou de l’incompétence. Aux dernières nouvelles il est toujours considéré comme un expert et les pétitionnaires l’aident à se refaire une virginité dans l’antikadhafisme.

Cette configuration nouvelle qui fait de BHL et de sa coterie la référence des « intellectuels de gauche » n’est, bien sûr, qu’une fabrication purement médiatique à visée performative ou, comme on dit aujourd’hui, auto réalisatrice. Une imposture d’autant plus grosse que cette notion d’intellectuel de gauche, pour démodée qu’elle soit, garde un certain prestige que d’aucuns aimeraient bien usurper. En fait, dans le paysage idéologique d’aujourd’hui, il n’y a plus ni intellectuels de gauche ni intellectuels de droite mais un éventail de publicistes interchangeables qui ne peuvent avoir d’existence que par une présence assumée et permanente dans les médias. Cela, bien entendu, au prix d’une soumission à des impératifs de forme (faire court) et de fond (conformisme libéral) établis d’un commun accord. Ce sont donc toujours les mêmes que l’on va voir et entendre et qui vont construire des liens de connivence spontanée qui font que l’on a souvent peine à voir la frontière qu’il pourrait y avoir entre tel ou tel personnage étiqueté de gauche (bien pensante) ou de droite (suffisante). Est-ce un hasard si, depuis plus de vingt ans, les émissions de débats intellectuels à la télévision sont quasiment monopolisées par un Guillaume Durand qui masque par une faconde désinvolte son conformisme et sa superficialité mondaine et un Franz- Olivier Gisbert qui a fait tous les organes de presse de gauche à droite et inversement et qui dissimule sous une urbanité condescendante un fond de sauce férocement droitier?

11 avril 2011