Quand les économistes réfléchissent II
En cette rentrée de l’an de grâce 2006, les subprimes américaines fleurissaient, la spéculation prospérait, la crise financière couvait... Et pendant ce temps, que faisaient nos importants économistes officiels? Ils regardaient ailleurs! C’est le moment choisi, entre autres, par une coterie pompeusement nommée « Cercle des économistes » pour rendre ses oracles devant tout un peuple supposé pétrifié par l’importance de la révélation. Ce groupe d’une trentaine de pontes se présente comme regroupant des économistes de droite et de « gauche », « agacés par la pauvreté du débat en France sur l’économie » et disposés à divulguer enfin, pour 15,80 euros, la vérité révélée dont ils sont seuls dépositaires, à savoir la liste des « contraintes incontournables » qui devront s’imposer à la droite comme à la gauche et la liste des « solutions illusoires » qui nous ont fait tant de mal. Qui sont ces trente experts? Des conseillers de groupes financiers, des hauts fonctionnaires aux revenus confortables et aussi experts en pantouflage, des universitaires attendant le moment eux aussi de pantoufler quand ils n’ont pas déjà « monté leur boîte » de conseil financier ... Bref, de simples gens dont on ne saurait suspecter la capacité d’attention aux difficultés du petit peuple. On a donc eu droit à la récitation des mornes lieux communs que nous inflige depuis des années cette idéologie néo-libérale qui vient d’exploser en vol, la discussion entre économistes de droite et de « gauche » portant, dans le meilleur des cas, sur le dosage de la potion amère à administrer aux salariés et aux retraités. Le « Cercle des économistes »? Un banal lobby libéral qui voudrait se donner les nobles allures d’un think tank .
J’ai ici scrupule à redire quelles étaient les préoccupations et prescriptions mesquines de ces gens alors que la finance était en train de couler l’économie mondiale. Sans surprise, ce n’était que sévérité pour les salariés et bienveillance pour les détenteurs de capitaux dont on voit l’usage qu’ils en faisaient. Ainsi, « tout accroissement de la protection de l’emploi » devait être considéré comme « irresponsable » et toute action pour « empêcher les licenciements ou les délocalisations » comme « déraisonnable ». Ne parlons même pas de cette horrible invention dite salaire minimum dont toute perspective d’augmentation était diabolisée par nos florissants experts. Bien entendu, la durée du travail devait être accrue dans tous les sens: recul de l’âge de la retraite (c’est en cours!), haro sur les 35 heures (il faut choisir: les sous ou le temps libre!). Les inégalités sont inévitables et le chômage nécessaire, il faut donc relativiser les unes et banaliser l’autre.
A côté de ça, la prévenance pour les riches est présentée comme une logique économique irréfutable. Nos experts ont un ennemi, l’impôt, et particulièrement cette ignoble chimère que serait l’impôt dit de solidarité (et puis quoi encore!) sur la fortune qui serait quasiment la source de tous nos maux.. Il y aurait donc urgence à « basculer la pression fiscale » des revenus et patrimoines élevés vers... la consommation, ce qui mit un temps à la mode l’idée de « TVA sociale ». Le tout consistant à se conformer à « l’exigence de rentabilité du capital des entreprises », à l’image de ce modèle anglo-saxon dont on ne pourrait plus « ignorer les règles » qui se seraient définitivement imposées au monde entier ainsi que le catéchisait M. Eric Le Boucher qui sévissait alors au Monde.
Or, justement, s’il est un enseignement de la crise, c’est bien, en particulier, la déconfiture du capitalisme anglo-saxon dont les fameuses « exigences de rentabilité » s’avèrent bien, elles,
« irresponsables » et « déraisonnables ». Concernant les salariés, ne nous y trompons pas, les experts libéraux ne renoncent à rien. Sauf que leur autorité supposée est désormais bien mise à mal. Ne voulaient-ils pas, en 2006, rendre obligatoires les fonds de pension pour les retraites, les mêmes fonds qui sont en train de ruiner les retraités américains. Ah, ils sont de bon conseil nos économistes! Les mêmes juraient que le mandat de la BCE était intangible, jamais elle ne baisserait ses taux; face à « une illusoire relance monétaire », il s’agissait « d’intégrer ce fait comme une contrainte ». Résultat, la BCE vient d’abaisser son taux de 0,75% en attendant davantage. Ah, ils sont clairvoyants nos économistes! Et les « déficits publics »! Que n’a-t-on entendu à ce sujet! Une charge intolérable alimentant une dette insupportable que nous allions égoïstement léguer à nos enfants... Un véritable drame national incitant l’Etat, pour alléger la « dette », à liquider les services publics et les fonctionnaires. Mais lorsque aujourd’hui il faut garantir 360 milliards aux banques et trouver 26 milliards pour la « relance », figurez-vous que les déficits publics, finalement, c’est pas si grave que ça! On compensera par la suppression, dans le calcul de l’impôt sur le revenu, de la demi-part supplémentaire pour parent isolé, cela concerne pour l’essentiel des femmes et, au moins, celles-là, on est à peu près sûr qu’elles n’iront pas, avec leurs marmots, s’installer en Suisse ou demander la nationalité belge! Ah, ils sont accommodants nos économistes quand il s’agit de préserver et de perpétuer la domination de l’argent!
15 décembre 2008