La nomenklatura libérale I
A propos de l’augmentation du forfait hospitalier, M. Eric Woerth aurait badiné, selon Michel Guilloux, dans l’Humanité du 08.09.2009, qu’on n’allait pas « monter sur ses grands chevaux en appelant au drame absolu » pour quelques euros de plus ! Décidément, avec les blagues racistes de Hortefeux, la morgue des ministres sarkozystes n’a plus de limites. Ils se lâchent en toute impunité et sont tellement arrogants qu’ils ne se rendent pas compte que ce sont justement ces propos mal contrôlés qui sont les plus révélateurs de la pensée profonde.
M. Woerth est ministre du budget. Il n’a pas personnellement de problèmes d’argent, ça se voit. Deux cents euros (sans parler des dépassements d’honoraires) à payer pour dix jours d’hospitalisation, il n’imagine pas que cela puisse mettre en difficulté beaucoup de gens dans ce pays que l’on dit « riche ». La caste à laquelle il appartient n’a que faire de ces péripéties. Il y a des choses plus importantes. Tenez, au mois de juin dernier une « party » aussi discrète que distinguée était organisée au palace parisien Le Bristol par l’UMP ; les convives : les 400 bienfaiteurs ayant versé plus de 3 000 euros pour financer le candidat Sarkozy. Rien que du beau monde. Le président lui-même honora cet entre-soi de sa présence. Le maître d’œuvre de ce raout : M. Woerth soi- même. Là il ne badine pas avec l’argent. Il faut dire qu’il en côtoie quotidiennement l’éclat : son épouse, Florence, est une femme d’affaires, elle occupe un modeste emploi comme gestionnaire du portefeuille de Liliane Bettencourt, dans le cadre d’une société familiale, Clymene, qui régit les quelques sous de l’actionnaire principale de l’Oréal ! Comme il se doit, Florence a aussi précédemment travaillé dans la banque, chez Rothschild et Cie en particulier. Elle aime aussi les chevaux : chacun a droit à son hobby. Elle a donc fondé son écurie et, comme c’est une féministe échevelée, elle l’a appelée Dam’s et y a associé quelques copines, Nathalie Bélinguier, présidente de la Fédération internationale des Gentlemen-Riders et épouse de Jean-Claude, président du PMU ; Nicole Seroul, épouse de Bertrand, président du groupe Direct Presse ; Dominique Hazan, directrice et femme du PDG des marques de prêt-à-porter Georges Rech et Apostrophe ; Réjane Lacoste, épouse de Michel qui a hérité de la célèbre marque... Vraiment du beau linge (www.entourages.lalettrea.fr). Si le cœur vous en dit, l’action est à 15 000 euros... Alors vous pensez, 4 euros de plus de forfait hospitalier, ça ne risque pas faire monter M. Woerth, justement, sur ses grands... chevaux. Quand l’inconscient parle !
Ces faits et ces noms -entre combien d’autres- sont mal connus du « grand public » comme disent les journaleux qui, eux, n’en ignorent rien. Le politiquement correct va refuser de les « livrer en pâture à l’opinion » : il ne faut pas exciter les mauvais instincts égalitaires du bas peuple ! Alors on va fabriquer un discours d’occultation des profiteurs du système que sont ces grands bourgeois confortablement installés dans leur pognon et leur bonne conscience. Pour être un peu crédible on veut bien admettre qu’il y a trop d’argent et même des abus, on va alors désigner des entités abstraites ou des groupes indistincts : les « institutions financières », les « investisseurs », les « sociétés », les « dirigeants » ou, mieux, d’énigmatiques organismes comme les « hedge funds », impossibles à situer, comprendre ou représenter. Tout est fait pour « escamoter les bourgeois et leurs familles en tant que véritables bénéficiaires des prélèvements sur les richesses produites » (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte, 2003).
Il faut refuser cette omerta. La domination d’une toute petite minorité, ce sont des noms, des visages, toute une nomenklatura libérale, fermée, avide, très consciente de ses intérêts de classe et décidée à les défendre par tous les moyens. La caste libérale comprend non seulement les accapareurs directs, souvent des « grandes » familles dont les privilèges se transmettent héréditairement (Arnaud, Riboud, Pinault, Bolloré, Dassault, Bouygues, Lagardère...) et dont la magnificence est de temps en temps offerte à l’admiration du peuple mais elle entretient en outre une légion d’idéologues et de hérauts. En particulier les économistes les plus influents qui occupent en permanence le devant de la scène médiatique et qui ont eux-mêmes des intérêts personnels (matériels et symboliques) dans nombre d’institutions financières qu’ils ne sauraient donc remettre en cause. On l’a bien vu avec le bide lamentable de toutes leurs théories face à la crise financière, fiasco dû moins à l’incompétence qu’à l’impossibilité de prendre la moindre distance avec un système à la reproduction duquel ils sont des agents intéressés : ils en sont partie prenante, oh combien... A tous les sens de l’expression!
14 septembre 2009