La nomenklatura libérale IV
Le cumul constitue un des principaux privilèges de la nomenklatura libérale française. C’est une pratique déjà ancienne. Le Nouvel Observateur (15-21 octobre 2009) fait semblant de la découvrir mais en en élargissant tellement le périmètre que cela revient très exactement à noyer le poisson. On a, à vrai dire, rien à faire que Morandini ou Beigbeder soient, dans leurs domaines respectifs, des cumulards mais cela revient à relativiser l’accaparement glouton des fonctions rémunératrices par ceux que le Nouvel Observateur appelle les « cumulards du CAC 40 », les Pébereau (BNP Paribas), Spinetta (Air France), Beffa (Saint-Gobain), Fourtou (Vivendi), Desmarets (Total), etc. sans parler de Proglio! Rien n’est dit du système qui permet le scandale... Et rien ne changera.
Sauf que, peut-être, ce gouvernement semble s’intéresser à la question. Ne vient-il pas de s’attaquer au plus honteux de tous ces cumuls, celui de ces accidentés du travail qui, non contents de toucher de l’argent alors qu’ils ne travaillent pas, ce qui est contraire aux principes les plus élémentaires du libéralisme économique, en plus ne paient pas d’impôts sur cette indemnisation! Un intolérable passe-droit, a proclamé M. Jean-François Copé, un grand humaniste trop méconnu...Il suffit alors pour imposer ces profiteurs de transformer ce qui est une indemnité pour préjudice en un « revenu de remplacement du travail ». C’est une « mesure de justice sociale », s’est réjoui M. Woerth qui s’y connaît. Il paraît que cela rapporterait 150 millions d’euros. De quoi rémunérer correctement M. Proglio de façon à lui éviter la « peur du déclassement ». Et on dira après çà que ce pouvoir n’est pas attentif aux problèmes des gens.
Il y a à vrai dire d’autres cumulards que le Nouvel Observateur épargne soigneusement. Je veux parler de ces économistes officiels, donneurs de leçons, qui, pour la plupart, au nom de leur
« expertise » émargent au budget des grandes banques et autres sociétés capitalistes. On parle beaucoup en ce moment de M. Daniel Cohen et de son dernier ouvrage, La prospérité du vice, on le dit même vaguement de gauche. Professeur à l’ENS, ce qui ne lui permet pas de boucler ses fins de mois, il est aussi « senior adviser » à la Banque Lazard. J’avoue ne pas savoir en quoi consiste cette fonction mais il m’étonnerait beaucoup qu’elle soit bénévole. La Banque Lazard est actuellement, dit-on, « fragilisée » par l’hospitalisation de son PDG Bruce Wasserstein. En cas de
« restructuration », l’emploi de M. Daniel Cohen va-t-il être menacé? Le syndrome de la « peur du déclassement » ne va-t-il pas le frapper?
Ils sont ainsi nombreux à pantoufler de façon plus ou moins ouverte pour mettre du bon beurre dans leurs épinards. Généralement, ils ne s’en vantent pas trop de manière à garder un minimum de crédibilité pour les expertises officielles. Néanmoins il n’y a pas de secret et tout un chacun peut disposer de ces informations. Quelques exemples. M. Christian de Boissieu, professeur à Paris IX, est conseiller économique au Crédit agricole, à Ernst et Young France et dans un hedge fund (HDF Finance). M. Christian Saint-Etienne, qui a un jour déclaré que les RMistes n’étaient que des « maximisateurs de profit », est professeur au CNAM, longtemps conseiller du Crédit lyonnais (avec un succès relatif, semble-t-il), il a fondé sa « boîte », Conseil stratégique européen SA, spécialisée en analyse stratégique de marché. Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS, est, entre autres, président du conseil scientifique de Vigeo, une société de « notation sociale » fondée par Nicole Notat. Jean-Hervé Lorenzi, professeur à Paris IX, est « Senior hanker » et conseiller du directoire à la Compagnie financière Edmond de Rothshild. Michel Godet, professeur au CNAM, est administrateur du groupe Bongrain. Jean-Paul Fitoussi, professeur à l’IEP, est administrateur de Telecom Italia. Etc. etc.
Il ne s’agit pas de clouer au pilori ces braves gens bien que, eux, soient de vrais « maximisateurs de profit », comme dit l’autre, d’autant qu’il y en a bien d’autres que ces six exemplaires. Il s’agit de pointer une imposture qui fait de ces personnages des experts désintéressés et sans attaches particulières alors que leurs avis doivent relativisés comme venant d’une caste qui prend soin de ses intérêts. Ajoutons le paradoxe qui fait que, étant dans leur quasi-totalité universitaires et chercheurs, ils bénéficient du statut de la fonction publique et avec les salaires les plus élevés, ce qui ne les empêchent pas de fulminer qu’il y a trop de fonctionnaires qui coûtent trop cher! Agents dominés dans la nomenklatura libérale, ils n’en recueillent pas moins ses prébendes. Ils ne sauraient servir deux maîtres : le bien commun et l’intérêt des riches. On sait lequel ils ont choisi. Au nom de la science économique, bien sûr, en tout cas celle qui professe opportunément que l’intérêt général se confond justement avec celui des riches pour la simple raison -qui n’est qu’une tautologie imbécile- qu’ils possèdent les richesses!
26 octobre 2009