Des économistes bien nourris I

Qui sont donc ces importants personnages dont les préconisations doctrinaires ont pour conséquence de ravager la vie du plus grand nombre ? Des préconisations fondées sur une compétence dont la scientificité et l'impartialité ne sauraient être contestées, nous dit-on, que par d'infâmes populistes ignorant l'« économie ». Et pourtant...

Prenons l'un des plus répandus d'entre eux. Il s'appelle Daniel Cohen. Il est toujours présenté comme professeur à l'Ecole normale supérieure, ce qui le dote immédiatement d'un prestige qui va donner à ses paroles un indiscutable crédit. Il serait, selon Alain Minc, éminence grise de tous les libéraux, le meilleur économiste de France ; il paraît même qu'il conseille François Hollande. Etrangement, sa notice biographique du Conseil d'Analyse économique (CAE), dont il est évidemment membre, oublie pudiquement de mentionner qu'il est aussi Conseiller principal à la banque Lazard Frères... Pardon, pour faire chic (fashionable comme on dit en anglais de salon), il faut stipuler Senior adviser. Avec les émoluments confortables que l'on suppose et dont on ne saura rien . Pas un journaliste n'ignore ce double emploi mais aucun n'a jamais songé à l'indiquer en le présentant. Serait-ce honteux ? Ou sans signification ? M. Daniel Cohen est aussi éditorialiste au journal Le Monde. Or, il se trouve que M. Mathieu Pigasse qui dirige la banque Lazard et qui donc se trouve être le patron de M. Cohen, est aussi co-propriétaire du Monde ! Il y a de ces coïncidences... Ce n'est pas tout. Daniel Cohen a une spécialité, l'évaluation de la « crédibilité des politiques économiques ». C'est à ce titre que la banque Lazard -à laquelle M. Cohen consacre décidément beaucoup de temps tout en étant fonctionnaire de catégorie A- l'a expédié en Grèce pour conseiller Papandréou. Avec les résultats que l'on sait. A la place de Hollande, je me méfierais...

Le Cercle des économistes comporte 29 membres et le CAE 28. Huit d'entre eux cumulent les deux appartenances, soit une caste de 49 notabilités toujours prêtes à pontifier pour flageller le peuple irresponsable et dépensier. Voyons les chefs de ces deux clubs. M. de Boissieu est président du Cercle. Sa biographie mentionne innocemment qu'il est professeur d'économie à Paris-I, conseiller (rémunéré) à la CCI de Paris et à celle de Pau. Il est aussi membre du Collège de l'Autorité des Marchés financiers, un machin censé travailler à la régulation de la place financière de Paris et dont l'efficacité dans cette tâche est encore de nos jours célébré avec émotion dans les chaumières. Seule la modestie empêche M. de Boissieu de revendiquer dans sa biographie ses hautes fonctions dans le privé (il est lui aussi, bien entendu, fonctionnaire du cadre A). Il est simplement Conseiller -uniquement pour rendre service, sans aucun doute- aux banques Hervet et Neuflize, au cabinet Ernst et Young et dirige le Hedge Fund Crédit agricole. Mais, comme diraient les journalistes bien pensants, c'est sa vie privée, rien à voir, n'est-ce pas, avec ces fonctions publiques.

M.Jean-Hervé Lorenzi préside, lui, le CAE. Selon sa biographie du CAE ce n'est qu'un simple professeur à l'Université Paris-Dauphine. Tiens, encore un fonctionnaire ! Il y dirige le Master « Assurance et gestion du risque ». L'assurance, donc, ça le connait et, pour préserver ses vieux jours, il collectionne les casquettes qui en font un des cumulards les plus cyniques du lot. La notice du Cercle (dont il est aussi membre, bien entendu) indique qu'il est tout de même Conseiller du Directoire de la Compagnie financière Edmond de Rothschild et Président du Conseil de Surveillance de la Société Edmond de Rothschild Private Equity Partners. Déjà une double rémunération. Mais ce n'est pas fini. Il est également, plus discrètement, membre du conseil d'administration de BNP-Paribas et du Crédit foncier de France, activité dont on sait qu'elle est confortablement rétribuée pour une activité minimale. Ce qui lui laisse du temps pour d'autres menus travaux comme Conseiller à la surveillance chez Euler-Hermès, société d'assurance-crédit, n°1 mondial, membre du Groupe Allianz (ex AGF). Il faut bien vivre...

30 janvier 2012