Des économistes bien nourris II

Poursuivons notre petit recensement des menus avantages financiers dont permet de bénéficier le statut de grand économiste libéral. On pourrait penser que tous ces experts en austérité qui trouvent que l'on dépense toujours trop pour les pauvres en protection sociale et que le SMIC est toujours trop élevé donneraienr l'exemple de la frugalité et du désintéressement. C'est tout le contraire. Ils vivent fort bien et sont grassement appointés pour enjoindre aux autres de faire maigre. Il ne faudrait pas le faire remarquer sous peine de se voir reprocher un populisme indigne, tristement envieux du bonheur mérité de si indispensables sommités. Mais pourquoi donc tant de discrétion sur les gratifications obtenues en marge de leurs fonctions officielles si elles sont si légitimes ?...

Tenez, prenons M. Patrick Artus. Il cumule déjà l'appartenance au CAE et au Cercle des économistes. Il est directeur de recherche et des études économiques à Natixis, une banque d'investissement constituée par les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire, il est professeur à Polytechnique et à Paris I-Sorbonne. Une capacité indiscutable à coup sûr. En principe. Ce qui ne l'a pas empêché de prendre à la légère la crise des « subprimes » et de contribuer ainsi à faire perdre 2 milliards à Natixis pour l'exercice 2008 ainsi que 95% de sa valeur à l'action de la Banque. Il est vrai qu'il prétendait gaillardement, en 2007, que la possibilité d'une crise financière était une « affirmation fausse » ! Quelques mois après, la crise éclatait. Il finira par admettre, plus tard : « comment nous sommes-nous trompés et comment l'expliquer ? » On ne sait pas si ce « nous » est un pluriel de majesté ou une façon de mouiller ses collègues. Cette fatuité et cette compétence douteuse ne l'empêchent nullement de continuer à vaticiner et à émettre des avis péremptoires. Ni de conserver ses jetons de présence au conseil d'administration d'une modeste entreprise comme Total, friande sans aucun doute de ses conseils éclairés, et à celui de la boîte de sondages IPSOS.

Il faut maintenant dire un mot de l'incontournable Elie Cohen (membre du CAE). Il faut tout l'indécrottable conformisme et la paresse intellectuelle des journalistes vedettes pour constamment inviter cet encombrant personnage traînant sa jovialité béate tellement satisfaite d'elle-même dans l'ensemble des médias. Il est censé y professer LA science économique, la seule vraie, celle d'un professeur à Sciences Po et directeur de recherche au CNRS (CEVIPOF). Voilà qui devrait éteindre toute contradiction et il ne viendrait à l'idée d'aucun journaliste de contester la plate orthodoxie libérale qui tient lieu de science à M. Cohen (c'est à eux-mêmes, à vrai dire, leur seule «culture » économique). Ni de mentionner quelques activités marginales mais tout à fait lucratives du digne professeur dans les conseils d'administration d'EDF Energie nouvelle, de Pages jaunes et de Steria, une boîte où l'on conçoit, selon l'énigmatique jargon en vigueur, des « solutions métiers à forte valeur ajoutée » ! Cela ne grève guère l'emploi du temps de M. Cohen mais lui rapporte gros : 107 212 euros en 2010 selon le calcul de Gilles Balbastre (L'Humanité, 11.01.2012).

M.Cohen est, en outre, un pondeur prolifique de rapports divers (rémunérés, bien entendus). On va y revenir. Pour aujourd'hui, on se contentera de noter ce que disait, en 2007, le si compétent M. Cohen à propos des marchés financiers qui seraient selon lui, ainsi que le cite impitoyablement Wikipédia, « un facteur essentiel de croissance à long terme et de stabilité macro-économique ». Etrange tout de même cet optimisme dogmatique qui faisait écrire, il y a cinq ans, à M. Cohen : « la finance de marché joue un rôle décisif dans la remise sur pied des entreprises affaiblies par la crise financière ». Car la dite crise financière est, pour M. Cohen, une bénédiction : « tout se passe comme si le système avait périodiquement besoin d'une crise pour retrouver le sens des grands ordres de valeur économique ». Et, bouquet final, il prédisait, en 2007 : « dans quelques semaines le marché se reformera et les affaires reprendront comme auparavant ». Il ne disait pas les « affaires » de qui... Ni qui devait payer la crise... Mais, la suite l'a montré, il avait tout faux ! Ce qui ne le prive nullement des tribunes où il continue de parader.

13 février 2012