Des économistes bien nourris III
Nos florissants économistes libéraux sont d'autant plus convaincus des bienfaits de l'économie de marché qu'ils tirent de sa défense et illustration de copieux avantages personnels. Certains peuvent même se payer le luxe de se dire, plus ou moins discrètement, de gauche. Mais oui. Une gauche raisonnable, bien sûr. Récemment, Le Monde ( 26.01.2012) nous faisait part de quelques noms de ces experts qui conseillent, paraît-il, François Hollande. Ils sont donc censés le seconder dans le grand combat contre la « finance » revendiqué par le candidat socialiste lors de son meeting du Bourget.
On y retrouve l'inénarrable Elie Cohen. De toute façon, il est partout. On rappellera simplement qu'en matière de finance il a signé, en 2006, avec deux collègues. Philippe Aghion et Jean Pisani- Ferry, un rapport édifiant, bien dans la ligne de la Commission Attali sur la « libération de la croissance ». Pisani-Ferry est dans le « staff » de Hollande. « Member of the International Advisory Board », il multiplie les fonctions de conseiller (dans des instances publiques, on le lui accorde) et de « Senior Advisor », ce qui paraît plus chic, sauf que « advisor » veut simplement dire « conseiller » en anglais. Il dirige un laboratoire économique européen (BRUEGEL). Aghion, bien que non répertorié par Le Monde, a aussi des sympathies de gôche. Il a eu son bâton de maréchal en enseignant au MIT, à Oxford, à Harvard. Ancien conseiller de Ségolène Royal, c'est un grand défenseur du FMI, de l'OMC, de l'OCDE, de la Banque mondiale et un spécialiste de la remise de la « gouvernance » des universités au privé à l'aide d'un conseil d'administration composé pour l'essentiel de « personnalités extérieures » sur le modèle américain (rapport remis à Valérie Pécresse en 2010). Que disaient donc ces dangereux trublionsdans leur rapport de 2006? L'idée esssentielle : poursuivre la financiarisation de l'économie pour assurer la croissance de l'Europe. Les moyens : dérèglementation du marché des biens et libéralisation du marché des services. Des mesures très à gauche, sans aucun doute. Avec en prime cette assertion stupéfiante : « la dérégulation financière ne semble pas avoir d'impact significatif sur le chômage » (cité sur Wikipédia à l'entrée Philippe Aghion). Avec de tels experts conseillant Hollande, la finance n'a qu'à bien se tenir.
Mais Hollande peut aussi puiser dans un vivier de jeunes gens aux dents longues. On parle ainsi beaucoup de Karine Berger, 35 ans , sémillante surdiplômée, Polytechnique, ENSAE, Sciences Po. Elle est passée par la Direction du Trésor et l'INSEE. Avec ses titres ronflants et tout juste entrée dans la carrière, elle est déjà allé à la soupe. Elle vient d'être nommée « Director of Market Management, Strategic Marketing and Economic Research departments » à Euler-Hermès. En bon français, elle dirige dans la boîte tout ce qui relève des marchés, des statégies de marketing et des études économiques... Excusez du peu. Voilà au moins quelqu'un qui n'a pas de soucis du lendemain. Il va même lui rester du temps pour être candidate PS aux législatives dans les Hautes- Alpes. Thomas Chalumeau, 38 ans, est un copain de DSK, passé par l'ESSEC, l'ENA, Sciences Po. Il est modestement maître de conférences à l'IEP mais, depuis 2007 déjà, Directeur dans la Banque d'investissement d'une « grande banque européenne », en fait BNP-Paribas avec la fonction de « Director of the Strategic and Corporate Development ». Il est accessoirement coordonnateur des questions économiques au think tank ultra-réformiste Terra Nova. Autre jeune loup, Emmanuel Macron, 34 ans, est, lui, un bébé Rotschild. Il est inspecteur des finances et était haut fonctionnaire à Bercy lorsqu'il a été débauché comme Associé-gérant par la Banque Rotschild.
On remarquera que ces jeunes gens sont tous passés par la haute fonction publique avant d'aller pantoufler dans le privé. Et pas n'importe où. Si l'on sait que Daniel Cohen, de la Banque Lazard, est aussi dans le coup on ne peut que constater que les banques Rotschild, BNP-Paribas et Lazard, au moins, sont bien représentées dans le «staff » de Hollande. Ce qui promet une lutte sanglante contre la puissance de la finance et un effet comique garanti à la vue de ces banquiers « hollandais » faisant semblant des scier la branche sur laquelle ils sont assis...
26 février 2012