Des économistes bien nourris IV
Le statut équivoque de ces experts présentés comme des économistes et qui sont surtout des idéologues ne soulève guère de curiosité dans les médias dominants. Allez savoir pourquoi... Par contre, sous le titre « Les économistes à gages », le Monde diplomatique (mars 2012) vient de publier à ce sujet une enquête bien informée, proche de l'inspiration de cette série de chroniques. Ces personnages, placés en position de prescripteurs, sont engagés, à des titres divers, par des entreprises et sociétés privées qui leur versent des rémunérations s'ajoutant au traitement que la République, bonne fille, alloue à la plupart d'entre eux en tant qu'agents de la fonction publique, en particulier à l'université. Ainsi, censés définir l'intérêt public, ils sont à peu près tous liés à des intérêts privés. Bref, ils ont un fil à la patte. Cette situation, que l'on dira, poliment, paradoxale, ne semble guère les gêner. On ne peut même pas parler de duplicité. Arrogance ou inconscience, ils s'offusqueraient même que l'on puisse suspecter l'indépendance de leur jugement.
Nous avons vu quelques noms. Il y en a d'autres. Il n'est pas inutile de savoir exactement qui sont ces mercenaires que l'on croise régulièrement au détour d'une émission comme celle d'Y. Calvi, par exemple, sur France5. Tenez, M. Michel Godet, c'est un invité quasi permanent qui vient tonitruer à chaque fois sa seule idée : les Français ne travaillent pas assez ! Lui travaille beaucoup, la preuve : à sa fonction officielle de professeur au CNAM, il ajoute, plus discrètement, celle d'un des douze membres du conseil d'administration du groupe Bongrain, une entreprise leader mondial de la transformation du lait, des marques et spécialités fromagères. Un bon fromage pour M. Godet. M. Olivier Pastré est, lui, l'économiste officiel de France Culture. Il est universitaire, bien sûr, mais aussi administrateur de la Banque du Crédit municipal de Paris (capitaux publics) et surtout grand spécialiste du Maghreb : après avoir été administrateur de MEDEFIN et MSIN (Maroc) et de l'Union Bank (Algérie), il préside aux destinées de l'IMBank (Tunisie). Cela vaut bien un siège d'administrateur de l'Association des Directeurs de banques.
Et M. Christian Saint-Etienne... Il est officiellement, lui aussi, professeur au CNAM et, s'il vous plaît, à la chaire de Jean-Baptiste Say, ancêtre du libéralisme pur et dur. M. Saint-Etienne est du genre intransigeant, en particulier envers les chômeurs dont il fustige volontiers le goût immodéré pour les allocations extravagantes qui leur sont inconsidérément concédées. Il était conseiller économique de la direction financière du Crédit Lyonnais lors du krach de 1993, ce qui ne plaide pas en faveur de ses compétences. Néanmoins, il a su, lui, éviter le chômage et s'est retrouvé conseiller scientifique du Conseil stratégique européen, un cabinet de conseil en gestion du patrimoine. M. Philippe Chalmin assume, pour sa part, la posture de l'ultralibéral vindicatif. Professeur à Paris-Dauphine, il a été Directeur des études chez l'assureur SFAC devenue Euler- Hermès décidément très friande d'économistes convenables. Il s'est ensuite mis à son compte avec CyclOpe, institut de recherche spécialisé sur les marchés internationaux, dont il est président entre ses cours, ses passages chez Calvi et les réunions du CAE !
Jacques Mistral est lui aussi un habitué de C dans l'air et de France Culture. Il est directeur des études économiques à l'Institut français des relations internationales. Voilà qui pose son expert. Mais Calvi n'a pas encore eu le temps de préciser qu'il est accessoirement administrateur de BNP Paribas et de plusieurs sociétés d'AXA (Allianz). M. Jean-Paul Betbèze est professeur à Paris-Assas mais surtout chef économiste et directeur des études économiques, membre du Comité exécutif de Crédit Agricole SA. La banque dans tous ses états, ça le connait, il a été directeur des études économiques et financières de feu le Crédit Lyonnais. Son hobby : la présidence de la Commission économie du groupement des professions de service au MEDEF, sans parler de celle de la Commission affaires économiques et financières de l'Union européenne des Confédérations d'employeurs. Littéralement, un homme du patronat !
12 mars 2012