La noblesse d'Etat III
Une caractéristique essentielle de la noblesse d'Etat est l'interchangeabilité des fonctions, en particulier les aller-retour public-privé : de toute façon l'objectif est identique quel que soit le lieu, il est de servir l'accumulation et la reproduction du capital dans les meilleures conditions de rentabilité possibles. Cela a des conséquences extrêmement triviales. Le journaliste économique Pierre Briançon raille ainsi ces « prêcheurs d'austérité qui se recasent sans problème » : l'ancien ministre embauché comme « conseiller » par une grande entreprise industrielle dépendant des commandes de l'Etat ; l'homme politique traversant un désert provisoire rémunéré par un groupe du CAC 40 comme « avocat » alors qu'il n'en a jamais exercé la profession ; le haut fonctionnaire ou conseiller ministériel aux talents jusque là insoupçonnés soudain recruté par une banque d'affaires... (le Monde, 25/26.08.2013).
Les responsabilités à la Caisse nationale d'Assurance Maladie (CNAM) s'avèrent ici particulièrement prometteuses. En novembre 2014, M. Frédéric Van Rockeghem, directeur de la CNAMTS, -qui venait déjà du groupe d'assurances AXA- a achevé son mandat pour repartir dans le privé à la tête de MSH International, filiale spécialisée en assurance santé du groupe Siaci-Saint- Honoré, une société qui cible justement les salariés des entreprises. Rappelons que Van Rockeghem a beaucoup travaillé à la politique dite de maîtrise des dépenses d'assurance maladie dont on sait tout le bien qu'en attendent les assureurs privés. Mais il n'est pas le seul ainsi que le signalel'Humanité en parlant plaisamment du « fabuleux destin des directeurs successifs de la CNAM » (18.11.2014). Gilles Johanet a sévi deux fois en 1989-1993 puis 1998-2002 avant de se retrouver, par pur hasard sans doute, directeur-adjoint jusqu'en 2006 de la branche santé et assurance collective des AGF. Gérard Rameix a dirigé l'assurance maladie de 1993 à 1997 après avoir été responsable à Hottinguer Finances d'où est issue AXA. On nous fera difficilement croire que dans les plans de carrière de ces importants personnages la préoccupation première ait toujours été l'assuré social ! En ont-ils d'ailleurs jamais rencontré un seul ? Ce ne sont, délibérément, que des « gestionnaires » pour qui la souffrance humaine se réduit à des chiffres dans un bilan...
Car une particularité quasiment ontologique de la noblesse d'Etat est la distance savamment entretenue avec la foule des gens ordinaires, cette plèbe inculte qui ne sait rien de l'ENA et dont il faut sans cesse corriger les manières d' être et de penser, si tant est qu'elle pense... Ses conditions réelles d'existence sont ignorées avec soin pour laisser place à l'image d'un peuple introuvable forgée technocratiquement à coup de statistiques et de sondages bidonnés... Le pire est que certains finissent par y croire, enfermés volontaires dans une bulle de connivences et d'intrigues sans parler d'une opulence quotidienne à laquelle on ne fait même plus cas. Moscovici « croit » qu'en tant que commissaire européen il gagne 20 000 euros par mois... Il n'est pas à ça près... Et c'est ce genre de dignitaire avantageux qui décide du sort de millions de personnes dont il ignore tout !
Tous ces puissants, bien entendu, pratiquent assidûment l'entre soi et partagent d'élégantes et dispendieuses mondanités. En juin dernier, un certain Philippe Villin, banquier d'affaires, conseiller du CAC 40 et éminence gay des grands patrons offrait une fameuse nouba au Théâtre des Champs Elysées pour les 20 ans de sa petite entreprise. Présence obligatoire du business haut de gamme. Grands patrons de tous horizons, papotant et clabaudant, politiciens venant confirmer leur allégeance, Borloo, Guéant, Chevènement, Sarkozy... le tout dans ce luxe dont Montesquieu disait : « le luxe est toujours en proportion avec l'inégalité des fortunes. Si dans un Etat les richesses sont également partagées, il n'y aura point de luxe car il n'est fondé que sur les commodités que l'on se donne par le travail des autres » (De l'esprit des lois, Livre VII, chapitre premier). Le drame, rapporté par le Monde (06.11.2014), c'est qu'une autre sauterie du même genre avait lieu en même temps, Salle Pleyel, dans le 8ème arrondissement, organisée par BFM, le média du business, toujours le business... Il fallait choisir, plus chic chez Villin, plus branché chez BFM... Cruel dilemme... Les riches aussi ont leurs problèmes... Valls et Macron ont choisi BFM... Allez savoir pourquoi...
27 avril 2015