« Politiquement correct »
L'idéologie conservatrice a toujours été prévalente et imprègne toujours largement notre société : les inégalités sont justes et nécessaires ; il y a des classes et des races inférieures ; des individus sont naturellement doués et d'autres ne le sont pas ; l'homme est un loup pour l'homme et la concurrence interindividuelle est inévitable ; l'ordre social est juste et bon, il doit être respecté de même que l'autorité chargée de le préserver... Les Lumières et la lutte des classes ont mis en avant d'autres valeurs : la justice sociale, l'égalité, la solidarité, l'antiracisme, la démocratie et l'antifascisme... Elles n'ont jamais été dominantes et sont constamment mises en cause. Le régime de Vichy a pleinement incarné la tradition réactionnaire, celle-ci en a été un temps quelque peu discréditée mais s'est vite remise en selle sous l'égide de l'anticommunisme. Elle prend aujourd'hui un nouvel élan, s'affublant du déguisement trop grand pour elle de ce qui serait une pensée rebelle face à la domination de valeurs de gauche qui saperaient notre société. Un de ses thèmes favoris est par exemple l'effroi surjoué devant le « communautarisme » et le « multiculturalisme », ce qui n'est que la reprise de vieilles traditions : le rejet de l'étranger et la pureté de la race !
La méthode uniformément utilisée par la vague (néo)réactionnaire est donc de dénoncer une prétendue hégémonie des valeurs de gauche qui édicterait ce qu'il faut obligatoirement penser et que l'on nomme alors par dérision le « politiquement correct ». Dans tel discours de M. Finkielkraut (www.atlantico.fr) on relève par pelletées les attaques contre ce qui est pour lui le « politiquement correct » et la « bien pensance » ce qui lui permet de s'octroyer rhétoriquement un petit air de révolté solitaire et calomnié alors que l'on ne voit que lui dans les studios de radio et sur les plateaux de télévision, proférant des anathèmes, polarisant le débat et se permettant de hurler par deux fois « taisez-vous !» à un contradicteur imprudent. C'est toute la marque du dogmatisme impérieux et de l'intolérance d'un personnage qui joue les victimes tout en étant partout introduit et bénéficie, par exemple, d'une exorbitante rente de situation sur France Culture où il peut toutes les semaines déverser sans contradiction -ou alors complaisante- sa bile réactionnaire.
Mais avant de préciser davantage ce que serait le « politiquement correct », on notera combien il est significatif que les noms de deux des plus influents néoréacs, piliers du Figaro, MM. Ivan Rioufol et Eric Zemmour, apparaissent parmi les signataires du texte élégamment intitulé « Touche pas à ma pute ! » Rien de nouveau : la bourgeoisie, en particulier au XIXème siècle, a toujours été friande de maisons closes tout en célébrant très chrétiennement les vertus de la famille. Mais comme le chante Brassens, « Bien que ces vaches de bourgeois/ Les appell'nt des filles de joie/ C'est pas tous les jours qu'ell's rigolent ».Aujourd'hui, on ne parle plus que de « putes ». Se rend-on bien compte du tranquille mépris que comporte ce mot, mépris redoublé par l'origine sociale et ethnique de l'immense majorité des personnes prostituées ? L'acte prostitutionnel est l'archétype de la relation inégale, d'une situation de domination fondée de la façon la plus cynique sur l'argent. A qui fera-t-on croire que les personnes prostituées puissent tirer une quelconque satisfaction d'un rapport fondé sur la soumission et l'humiliation et toujours résultat d'une contrainte, violence directe, déterminisme social ou économique. La fable du libre choix est particulièrement détestable. Voir une grande bourgeoise comme Mme Elisabeth Badinter gloser sur la libre disposition de leur corps par les personnes prostituées serait comique si cela ne servait à justifier le plus abject des esclavages... On se demande dans quel milieu vit cette dame pour qui pénaliser les clients serait une «déclaration de haine» à une sexualité masculine qui serait, paraît-il, inassouvissable sans la prostitution (le Monde, 20.11.2013).
On est en fait en plein dans l' idéologie libérale et la fiction d'un individu disposant de la liberté absolue de choisir sa vie, la personne prostituée « choisissant » librement la prostitution comme le chômeur « choisirait » librement le chômage ! Résidu le plus infâme de la domination masculine, la prostitution doit être abolie comme le fut en son temps l'esclavage défendu alors avec de semblables arguties !
2 décembre 2013