Un lieu commun de la rhétorique réactionnaire
Une idéologie ultradroitière, décoincée par la démagogie sarkozyste et charriant souvent des remugles peu ragoûtants, cherche à tenir le haut du pavé. Elle ne sévit pas que dans la rue mais aussi bien dans les bavasseries de comptoir que dans des médias huppés squattés par une brigade de « néo réacs » ainsi que les désignent, dans une recension bien informée, les Dossiers du Canard enchaîné (octobre 2013). Ces idéologues conservateurs, ne doutant de rien, tentent en outre de se faire passer pour opprimés mais insoumis, rebelles face à la « bien-pensance » que véhiculerait la gauche et contempteurs de ce qu'on appelle donc le « politiquement correct ». Mais de quel politiquement correct s'agit-il ? L'expression vient des USA sous la forme de Political Correctness(ou politically correct) et a été utilisée par les Républicains conservateurs pour tourner en dérision un certain discours progressiste visant à éviter de stigmatiser une quelconque minorité par des formulations plus ou moins blessantes: par exemple on dira plutôt «Afro-américains» que « Blacks »... La préoccupation est loin d'être futile et j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer : les mots font exister les choses telles que l'on veut qu'elles soient !
Il en existe en France des exemples que l'on peut dire anodins : les aveugles sont désignés comme « non-voyants » et les sourds comme « malentendants ». Pourquoi pas ? Qui cela gêne-t-il ? Non-voyant renvoie à une situation objective et évite tous les emplois métaphoriques d'aveugle. D'autres exemples paraissent plus problématiques. On sait les railleries suscitées par le balayeur devenu « technicien de surface »... Mais n'est-il pas vrai que ce type de travail où l'on utilise souvent aujourd'hui des engins nécessite un certain savoir-faire ? Les caissières ne sont pas des machines enregistreuses et ont un contact avec la clientèle : pourquoi ne seraient-elles pas des « hôtesses de caisses » ? Certes cela ne diminue pas la pénibilité du travail et n'augmente pas les salaires mais peut donner un peu plus de dignité à des emplois nécessaires. Qui peut en être incommodé sinon les bons bourgeois conservateurs confits dans leur mépris du peuple ? Les classes inférieures doivent rester à leur place, n'est-ce pas, et un balayeur rester un balayeur !
L'authentique politiquement correct aujourd'hui est à observer dans le domaine de l'économie où libéraux et socio-libéraux font preuve d'une imagination sans limites. Il n'y a plus de patrons mais des « entrepreneurs » ! La lutte des classes, c'est politiquement incorrect, adversaires de classe encore plus, on parlera donc benoîtement dre « partenaires sociaux ». Vous voulez donner aux patrons plus de facilités pour licencier ? Vous mobilisez des « partenaires sociaux » complaisants afin de leur faire signer un « accord » pour la « sécurisation de l'emploi » que l'on ne désignera plus que sous l'acronyme bien neutre d'ANI... La liste est longue et le lexique bien fourni des ces leurres technocratico-libéraux. J'envisage, dans cette chronique, d'en dresser un jour le catalogue.
Mais ce n'est pas ce politiquement correct là qui hérisse les néo-réacs. Alors qu'ils colonisent les médias et les font bruisser de leurs propos sordides, ils prétendent être censurés, comme le remarque plaisamment Faysal Riad, par une « armée omnipotente de féministes roms musulmanes et homosexuelles » (www.lmsi.net, novembre 2013). Lorsque M. Zemmour éructe : « Pourquoi est- on contrôlé 17 fois ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes, c'est comme ça, c'est un fait », ce qu'il dit est faux et il ne démontre rien, il n'en revendique pas moins un propos de bon sens décrivant une réalité que voudrait occulter le politiquement correct. C'est ainsi que, comme l'affirme Faysal Riad, l'antipolitiquement correct est devenu un lieu commun de la rhétorique réactionnaire. Les néo-réacs invoquent bien entendu noblement la liberté d'expression pour pouvoir proférer contre la bien pensance qu'un homosexuel est un pédé, un Arabe un bougnoul, une Noire une guenon !... Le chanteur Benabar -mais oui- a tout compris lorsqu'il s'exclame : « j'emmerde tout un courant de pensée qui, sous prétexte de lutter contre le politiquement correct, défend des idées dégueulasses ».
10 mars 2014