Nationalisme et « historiens de garde »
Les néo-réactionnaires sont généralement nationalistes. Le nationalisme est la perversion d'une disposition parfaitement honorable que l'on peut appeler le sentiment national, c'est-à-dire la perception de l' appartenance à une société comportant un certain nombre de réguralités, habitudes, modes de vie et symboles communs que l'on nommera une nation. Le sentiment national est un évidence qui se vit, quand le nationalisme enjoint et caporalise. Une nation ne saurait être conçue comme immuable et sa culture commune s'enrichit sans cesse d'apports successifs, soit par l'adoption de nouvelles populations, soit par l'importation de coutumes étrangères et, pour prendre un exemple banal, le kebab et le hamburger font dorénavant partie de cette culture commune. Ouvert, le sentiment national peut néanmoins, dans certaines circonstances, susciter des mobilisations y compris violentes et pour le meilleur : les Soldats de l'An II, les partisans de la Résistance française, les patriotes vietnamiens vainqueurs de deux puissances, les moudjahidines de l'Indépendance algérienne... Ce combat est toujours défensif.
A l'inverse, le nationalisme est l'expression de ce qui se veut une supériorité, ce qui va attiser le chauvinisme, la xénophobie, l'expansionnisme. La supériorité raciale a toujours été un argument du nationalisme, que ce soit avec le colonialisme ou le nazisme. Le nationalisme exalte ce qui serait une « identité » dressée contre les autres identités nationales, figée et construite une fois pour toutes par une série de mythes fondateurs dont on feint de croire à la réalité. Le nationalisme exclut, tranche, rejette au nom d'un arbitraire culturel stéréotypé. Il se veut un unanimisme national gommant la luttes des classes pour le plus grand bénéfice des dominants. C'est tout le sens de la célèbre apostrophe d'Anatole France à propos de la boucherie de 14-18: « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ! » Tout ce qui ne participe pas de cet unanimisme est anathémisé sous l'expression d'anti-France que l'on retrouve dès l'affaire Dreyfus puis sous Pétain et comme invective favorite de Michel Debré, premier ministre de De Gaulle, pour ostraciser les opposants à la guerre d 'Algérie. On croit alors faire savant en parlant de « caractère national ». Avec sa clairvoyance habituelle -et qui nous manque tant- Pierre Bourdieu avait réfuté cette idée aussi mal fondée que la soi-disant « psychologie des peuples » où Gustave Le Bon voyait « l'âme de la race » : « La notion de caractère national, dit Bourdieu, qui était très à la mode au XIXème siècle, apparaît en fait comme la simple ratification de stéréotypes nationaux, de préjugés nationaux, elle est à balayer complètement de l'espace théorique, c'est une forme de racisme à peine sublimé » (Cours au Collège de France du 5 décembre 1991, dans Sur l'Etat, Seuil-Raisons d'Agir, 2012, p.549).
Le « caractère national » a besoin d'être enluminé, des pseudo-historiens vont s'y atteler sous les espèces du « Roman national » dont ils seront les chiens de garde. On parle aussi « d'historiens de garde » qui sont moins des historiens que des compilateurs ne retenant que ce qui peut alimenter la légende d'une France éternelle ! Le chef de file en est l'intarissable M. Max Gallo qui se propose de « célébrer les racines chrétiennes de la nation, de voir l'histoire de France comme une réalisation providentielle et la nationalité comme un acte de foi » (www.leshistoriensdegarde.fr). La Traite négrière, par exemple, fait tache dans ce panorama enchanté, on la minimisera ou on évitera d'en parler ; M. Pierre Nora, dans ses Lieux de mémoire (Gallimard, 1997), l'ignore totalement ; un vague député UMP entend la relativiser en la comparant aux agissements de la secte Boko Haram ! M. Gallo fait actuellement dans la « décadence » et martèle une pub pour un ouvrage alarmiste où une prétendue décadence de l'Occident serait comparable à la chute de l'Empire romain ! Bref, Goths et Ostrogoths sont sous nos remparts... Avec ses gros sabots, M. Zemmour illustre le propos : « Les grandes invasions d'après la chute de Rome sont désormais remplacées par des bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kossovars, de Maghrébins, d'Africains qui dévalisent, violentent, dépouillent ». Quelle différence -le talent en moins- avec « l'invasion youtre » que crachait un certain Louis-Ferdinand Céline ?
19 mai 2014