Le « Roman national »

Arme absolue, croient-ils, des néoréactionnaires, le Roman national est le récit mythique et édifiant -dont l'ancêtre est Ernest Lavisse- d'une histoire de France conçue comme l'évangile d'une sorte de religion nationale séculière. Ce récit instrumentalise un mélange de mythes et de faits plus ou moins avérés pour en faire une espéce de légende censée être dépositaire de l'identité nationale et ferment de la cohésion nationale. On y exalte, bien sûr, les « racines chrétiennes » de la France ainsi que les 40 rois qui, paraît-il, l'ont faite. On peopolise l'histoire à la Stéphane Bern, histoire qui n'est que celle des princesses et de leurs « secrets »... d'alcôve le plus souvent : c'est très vendeur, sans oublier néanmoins tous les saints, Denis, Rémi... Cette histoire légendaire est « une vision téléologique de l'histoire de France, rythmée par des grandes dates sacralisées, visant à démontrer la continuité historique d'une France éternelle » (William Blanc, Aurore Chéry, Christophe Naudin,Les historiens de garde, Editions Inculte, 2013). Les rôles sont distribués, bons et méchants, périodes de gloire et moments d'épouvante : Marie-Antoinette versus Robespierre ; merveilles de la cour de Louis XIV ou épopée napoléonienne versus horreur de la Terreur ou effroi de la Commune de Paris ! Cette histoire est celle des Grands et des élites, le peuple n'y est jamais convié qu'en des occasions sacrificielles comme la guerre de 14-18...

Le problème est que les faits historiques sont le plus souvent gravement malmenés par cette rhétorique. Il faut lire l'excellent ouvrage de l'archéologue Jean-Paul Demoule (On a retrouvé l'histoire de France, Robert Laffont, 2012) qui remet à l'endroit quelques mystifications et impostures. Ainsi il n'y a jamais eu de chute de l'Empire romain dont on veut nous présenter la prétendue décadence comme ce qui attend l'Europe aujourd'hui. Il n'y a pas eu de soudaines « invasions barbartes » mais une lente intégration de peuples germaniques au monde romain. Par exemple, lorsque les Wisigoths s'installent en Aquitaine, vers 418, ils étaient déjà christianisés : était-ce un progrès civilisationnel ? On ne posera pas la question. L'horrible Attila était en fait un prince romanisé et très cultivé. A la bataille des Champs catalauniques, en 451, dont on a fait le symbole d'une victoire de la civilisation contre la barbarie asiate, il y avait des « Barbares » et des Huns dans les deux camps et les Huns étaient même minoritaires dans l'armée d'Attila. Celui-ci et le général romain Aetius avaient été compagnons d'armes dans leur jeunesse (www. histoiredumonde.net).

Et l'histoire du baptême de Clovis... Une vaste blague ! On apprend à l'école que, après la victoire de Tolbiac, quelque part sur le Rhin, en 496 ou 506, ce chef Franc, qui aura tout de même le titre de consul romain, aurait « embrassé le culte de Clotilde avec 3 000 de ses guerriers ». D'où le baptême, Reims, Rémi et le reste, c'est-à-dire la soi-disant naissance de la nation française. En fait, on n'est sûr de rien, ni de la date, ni du lieu, ni des circonstances. Un mythe intégral. On subodore cependant un deal, une opération politique, l'Eglise monnayant son influence contre l'extirpation par le fer d'une hérésie, l'arianisme, qui dominait chez les Wisigoths vaincus par Clovis en 507 à Vouillé. Quant à la nation française, un successeur de Clovis, un certain Charlemagne, 300 ans plus tard, était tout autant allemand sous le nom de Karl der Gross, sa capitale que l'on appelle Aix-la-Chapelle était la ville allemande d'Aachen !

Charlemagne était le petit-fils de Charles Martel. Autre légende. La fameuse bataille de Poitiers, en 732, ne fut qu'une escarmouche où Charles Martel, maire du palais, avant d'aller ravager la Septimanie, mit fin à la razzia de trop engagée par l'émir Abd er-Rahman. On en a fait le mythe de l'Europe sauvée de l'invasion arabe... Des crétins islamophobes y voit encore un rempart victorieux et exemplaire contre la sauvagerie des hordes mahométanes. Ce qui prête à rire. Le califat omeyyade d'Al Andalus d'où venait Abd er-Rahman, même si ce n'était peut-être pas tout à fait le paradis de tolérance que l'on dit parfois, était un lieu des sciences et des arts combien plus civilisé etraffiné que les cours aux mœurs encore bien frustes des derniers rois mérovingiens dits « rois fainéants ».

1er juin 2014