Les méchants et les gentils

On sait comment l'impérialisme américain a toujours perpétré ses exactions à travers le monde au nom de la morale. Le principe est simple : tout ce qui soutient ou favorise les « intérêts américains », c'est le bien, tout ce qui les combat ou s'en défend, c 'est le mal. Un mélange de rouerie et de bigoterie qui fonde l'arrogante croyance de la « manifest destiny » elle-même issue de la mythologie puérile de la « ruée vers l'ouest ». Les massacres d'indiens dans la filmographie nord- américaine, qui réjouissent le spectateur, préparaient à d'autres massacres au nom de la morale, du droit et de la démocratie mis au service d'un capitalisme prédateur. Car il s'agit bien d'ouvrir, les armes à la main, des marchés pour les grandes sociétés capitalistes nord-américaines. Pour Reagan, l'URSS était « l'empire du Mal », pour Bush, l'Irak de Sadam Hussein était « l'axe du Mal » ! Au moment de la guerre froide, cette tradition américaine a contaminé les Etats soumis à son influence dans toute l'Europe occidentale et sévit aujourd'hui de manière intensive dans les médias. On fabrique des « méchants » pour mieux célébrer à coup de scoops les « gentils » censés les combattre. Ce qui ne signifie pas que les méchants ainsi bricolés ne reposent sur aucune réalité. Ce qui fait problème, c'est que ce type de considérations simplistes et manichéennes dispense d'analyses sérieuses et justifie d'avance les excès des gentils.

Ainsi Khadafi, longtemps considéré comme fréquentable, est devenu du jour au lendemain un méchant intégral qu'il fallait à tout prix renverser. Un prétendu philosophe, habitué des estrades, trouva à y employer ses rodomontades coutumières et sans risques, Sarkozy accéda à son caprice et le « tyran » fut abattu, dans des conditions sordides que notre vertueux humaniste jugea sans doute parfaitement méritées... Le problème est que les gentils autochtones, sauvés, paraît-il, du carnage, s'avèrent du même acabit que le dictateur éradiqué, le pays plonge dans le chaos et la terreur des groupes armés rivaux et des milices djihadistes se disputant la manne pétrolière, ce dont se fiche éperdument notre philosophe parti sous d'autres cieux défendre la « liberté ».

Où donc ? Mais en Ukraine, bien sûr, où il trouve un adversaire à sa mesure avec l'infâme Poutine, présenté dans nos médias comme l'incarnation du Mal, d'une perfidie sans limite. On pensera ce qu'on voudra de Poutine ; le problème, c'est une information indigente où des clichés constamment répétés tiennent lieu d'analyses, où des journalistes aussi bavards qu'incompétents se prêtent à une triste besogne de perroquets et à la même navrante propagande que l'on trouve sans doute, inversée, dans les médias russes. Poutine soutiendrait des «séparatistes»? C'est bien possible. Et qui le lui reproche ? Un « Occident » qui prétend imposer son « droit d'ingérence » dans le monde entier ! Mais comment se fait-il que les séparatistes lorsqu'ils sont bosniaques et antiserbes sont des gentils alors que lorsqu'ils sont « prorusses » ce sont des méchants ?

Il y a quand même une difficulté lorsqu'un supposé gentil a des comportements de méchant. Impossible de cacher l'ampleur des massacres et de la terreur imposée aux Palestiniens de Gaza par l'armée israëlienne. Et pourtant, à part quelques mots de circonstances, vaguement compassionnels, sur des images de destruction et de chaos, jamais Israël n'a été clairement condamné ! Si les auteurs de ces tueries étaient par hasard russes, chinois, cubains ou je ne sais quoi, on imagine le concert d'horreur et d'indignation... Ici, rien de cela, au contraire une reprise de la pitoyable et exécrable « justification », martelée à satiété dans tous les médias domestiqués selon laquelle le Hamas ferait de la population des « boucliers humains ». Ce qui fait du Hamas le vrai « méchant » et autorise la soldatesque israëlienne à tirer dans le tas... Mais qui ne sait qu'une résistance populaire est, pardéfinition, au cœur de la population ? Que faudrait-il, une bataille rangée en rase campagne entre une des plus puissantes armées du monde, surarmée par l'ami américain, avec ses chars et son aviation et une troupe de va-nu-pieds munis de kalachnikovs et de lance-roquettes bricolés ? Ah ça, ça serait bien ! Et que dire de ces sordides comptabilités où la mort de 64 soldats israëliens est censée équilibrer celle de plus de 2000 Palestiniens dont des centaines d'enfants... De la graine de « terroristes » sans doute !

1er septembre 2014