Qu'est-ce que le « politiquement correct » ?
On nous dit qu'il n'y a plus de différence entre la droite et la gauche. Mais d'où sortent alors ces cohortes de commentateurs, journalistes, essayistes, chroniqueurs qui ont importé dans l'ensemble des médias, même sous une forme plus ou moins euphémisée, les thèmes les plus outranciers d'une droite vindicative et haineuse ? Ils ont certes leurs propres vecteurs d'intolérance, des sites internet, FigaroVox, Causeur, etc., et, pour les plus frénétiques, Fdesouche, Riposte laïque... Dans ce dernier exemple, on notera l'usage dévoyé de l'adjectif « laïque » et l'on sait à quel point les néo-réactionnaires ont instrumentalisé la notion de laïcité -qu'ils ont tardivement découverte- pour soutenir leurs délires islamophobes. Les détestations ciblées à l'égard des valeurs de gauche ou simplement humanistes font le contenu de magazines tels que Marianne, Valeurs actuelles, elles ont table ouverte au Point, à l'Express, dans les télévisions, BFM, LCI, Cnews...
Et puis il y a leurs têtes de gondole, Zemmour pour le vulgaire, Finkielkraut pour les intellectuels. Ce dernier cas est bien intéressant. Se posant en valeureux résistants à la prétendue hégémonie d'une incertaine idéologie de gauche, les néo-réactionnaires se disent censurés, persécutés, empêchés de s'exprimer... M. Finkielkraut vient ainsi de publier un nouvel ouvrage où il se raconte en victime de l'ostracisme pesant sur lui en raison de son héroïque rébellion face aux « bien pensants » de gauche. Il en a trouvé. En foi de quoi, on le voit partout, lui le réprouvé, radios, télés, journaux... venir gémir d'être lâchement critiqué, honteusement brimé, indignement calomnié... Pour ce qui est de la nouveauté de ce combat idéologique, l'historien Gérard Noiriel en a fait justice. Il montre comment un Zemmour ne fait que reproduire le parcours d'Edouard Drumond, chef de file du camp antisémite à la fin du XIXème siècle (Le venin dans la plume. Edouard Drumond, Eric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 2019). Il y a une matrice du discours réactionnaire et chez Zemmour le musulman prend la place du juif chez Drumond.
C'est une constante de la doxa archéo et néo réactionnaire : l'exécration furieuse de l'altérité. Tout ce qui ne relève pas de la civilisation blanche, occidentale et chrétienne est à refouler. L'Occident a imposé ces quatre derniers siècles ruines, désolation, génocides au reste du monde et voilà que des misérables issus de ces peuples que nous avons opprimés, exploités, humiliés, massacrés migreraient dans nos contrées transportant les germes délétères propres à infester notre Sainte Identité! C'est la haine de l'autre qui n'est pas blanc ou pas assez qui guide désormais nos politiques conformément aux prescriptions de l'idéologie néo-réactionnaire triomphante. La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, va faire son marché dans les poubelles de l'extrême-droite en se donnant pour objectif la « protection du mode de vie européen ». Quelle sinistre plaisanterie ! Qu'y a-t-il de commun entre le milliardaire Bernard Arnaud et le retraité grec réduit à la misère par les diktats de cette même Commission européenne ? Le voilà le politiquement correct !
Et quand Lilian Thuram dit le vrai, à savoir qu'il est « nécessaire d'avoir le courage de dire que les blancs pensent être supérieurs et qu'ils croient l'être », la bien-pensance « républicaine » lui tombe dessus. La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, à la légitimité discutable et aux indignations sélectives) ose lui faire la leçon au nom de « l'universalisme républicain », cette fiction dont la LICRA sait bien qu'elle n'a jamais seulement abordé les rivages de l'Afrique, ceux qu'on nommait « indigènes » en étant réputés indignes. De même, lorsque la FCPE édite, à usage interne, une affiche où une « mère voilée » est censée accompagner une sortie scolaire, c'est la ruée des fanatiques du laïquement correct. Un certain Laurent Bouvet, islamophobe habituel et vigile autoproclamé avec quelques comparses, sous le nom de Printemps républicain, d'une orthodoxie laïque parfaitement usurpée, détourne l'affiche en assimilant femme voilée et terroriste. Jusqu'au ministre Blanquer qui, oubliant toute neutralité, s'en prend à la FCPE, négligeant le fait que l'accompagnement scolaire par des mères voilées est parfaitement légal. Pendant ce temps, une directrice d'école, submergée par les contraintes administratives de la bureaucratie Blanquer, s'est suicidée. Le ministre regardait ailleurs. Il avait mieux à faire.
NIR 234. 30 septembre 2019