Réponse à M. RIEU

Monsieur,

je vous remercie de l'attention que vous accordez à mes chroniques des Nouvelles.

En ce qui concerne votre courrier du 26 mars dernier, croyez bien que je n'ignore pas combien l'espérance communiste a pu être souillée par ceux qui s'en sont abusivement réclamés en URSS et ailleurs... Est-ce que cela rend plus positive l'expérience social-démocrate qui n'a été qu'une longue suite de trahisons des intérêts de la classe ouvrière ? Rappelez-vous Léon Blum s'autoproclamant « gérant loyal du capitalisme » ! Rappelez-vous les répressions menées, en 1919 en Allemagne par le ministre de l'intérieur social-démocrate Noske faisant massacrer les ouvriers spartakistes et commanditant l'assassinat de leurs leaders Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ou en 1947 en France par le ministre de l'intérieur socialiste (SFIO) Jules Moch autorisant les CRS à tirer sur les mineurs grévistes et faisant licencier 3 000 d'entre d'eux (seule Margaret Thatcher fera mieux!). Ces licenciements seront reconnus illégaux par la Cour d'Appel... en 2011! Les dirigeants socio-démocrates aujourd'hui appartiennent aux mêmes cercles que ceux de la droite... Ce qui ne met pas en cause, bien entendu, la sincérité des militants socialistes de base.

Par ailleurs je n'ai jamais écrit que Robert Hue ou Jean-Claude Gayssot n'étaient pas communistes. J'ai simplement remarqué que Robert Hue, après un passage discuté comme secrétaire national du PCF, avait quitté le Parti et s'était rallié officiellement aux thèses du Parti socialiste. Ce qui est son droit. Néanmoins élu sénateur sous l'étiquette communiste, il aurait pu avoir l'honnêteté élémentaire de remettre son mandat... J'ai bien indiqué que Jean-Claude Gayssot était « un communiste ministre des transports » mais « pas un ministre des transports communiste » pour la raison qu'il a entériné l'ouverture au privé du capital d'Air France, une disposition totalement contraire à l'esprit et à la lettre du programme du PCF ! Quant à la « table rase » dont vous parlez, je préciserai seulement que la stratégie du « programme commun », fondée sur un accord de sommet, a été largement remise en cause depuis par l'ensemble du PCF.

Pour ce qui est de votre précédent courrier à propos de ma chronique intitulée « Germanophobie », je n'ai pas envisagé d'y répondre étant donné les épithètes inacceptables que vous avez utilisées (« raciste », « imbécile »). Je vais peut-être néanmoins le faire ne serait-ce que pour rectifier votre information quelque peu défaillante lorsque, par exemple, vous parlez d'un « niveau de vie très élevé » en Allemagne. Cela dépend pour qui. Peut-être n'avez-vous pas entendu parler des réformes Hartz mises en place à partir de 2002 par le chancelier social-démocrate (tiens, donc!) Schröder dont « l'effet principal a été le développement spectaculaire de la pauvreté et des inégalités en Allemagne ainsi qu'une hausse sensible de l'endettement public » (Guillaume Duval, Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes, Seuil, 2012). Les lois Hartz ont conduit « à une baisse drastique des allocations chômage, à une facilitation des temps partiels et des bas salaires, à la création de mini-jobs payés 400 euros sans couverture sociale » (le Monde, 29.12.2012). Ces réformes sont fondées sur la fainéantise supposée des chômeurs et les petits boulots à 400-800 euros par mois pour 15 à 20 heures par semaine « concernent actuellement 20% des employés allemands (…), (une) généralisation du travail partiel qui maquille des chiffres du chômage trompeurs » (l'Humanité, 02.04.2013). L'Allemagne est aujourd'hui le pays d'un appauvrissement général des travailleurs et d'une montée constante des inégalités. Dix ans après les réformes Schröder, « 20% des Allemands travaillant dans une entreprise de plus de 10 salariés percevaient un bas salaire, soit en brut moins de 10,36 euros de l'heure (…). Dans certains secteurs ces bas salaires concernent 75% des salariés (…). Quelques 6,8 millions de personnes gagneraient moins de 8,50 euros de l'heure (…). L'Allemagne compte 6 millions de personnes touchant une allocation (Hartz IV) équivalente au RSA » (Frédéric Lemaître, « L'Allemagne minée par les inégalités », le Monde, 04.10.2012). Par contre, les 10% des Allemands les plus riches qui possédaient 45% de la richesse privée en 1995 en possèdent 53% en 2008 et 61% en 2010 alors que les 50% du bas de l'échelle s'en partageaient, si l'on peut dire, 1%. Les 70% les moins aisés disposaient de 9% du patrimoine (Eurostat). Je vous prie de m'excuser de vous infliger tous ces chiffres mais il faut savoir de quoi l'on parle. Un dernier chiffre, l'Allemagne est dans le peloton de tête pour le taux de pauvreté des retraités en Europe : 15,6% pour 20% en Grèce et 17% au Royame-Uni mais contre 13,5% « seulement » en France ! Pauvreté, précarité, voilà un « modèle » dont les travailleurs français peuvent se passer.

     Au cas où vous trouveriez ces considérations « germanophobes », je vous conseille la tribune du grand sociologue et philosophe allemand Ulrich Beck dans le Monde du 13.04.2013 intitulée « Angela Merkel, nouveau Machiavel ». Quelques extraits : « La nouvelle puissance allemande ne repose donc pas, comme ce fut le cas dans le passé, sur la violence en tant qu'ultima ratio. Elle n'a besoin d'aucune arme pour imposer sa volonté à d'autre Etats (…). (La chancelière) défend la politique du non tout en se profilant comme la maîtresse d'école seule capable de donner des leçons à l'Europe (…). Angela Merkel veut prescrire et même imposer à ses partenaires ce qui passe pour être une formule magique en Allemagne (…). Mais dans la réalité, cette politique d'économie révèle qu'elle est surtout synonyme de coupes claires au niveau des retraites, de la formation, de la recherche, des infrastuctures, etc. Nous avons affaire à un néolibéralisme d'une extrême violence qui va maintenant être intégré dans la Constitution européenne sous la forme d'un pacte budgétaire -sans faire cas de l'opinion publique européenne (trop faible pour résister) (…). Pour élargir à toute l'Europe, et de façon contraignante, la politique d'austérité de l'Allemagne, les normes démocratiques peuvent, selon Merkiavel, être assouplies ou même contournées (…). La politique d'austérité de la chancelière allemande (est) souvent très populiste, surtout axée sur les seuls intérêts allemands ».

     Pour revenir à votre dernier courrier, si s'opposer à une régression sociale comme cet Accord National Interprofessionnel (ANI) qui livre les salariés pieds et poings liés au patronat est un « virage vers l'extrême-gauche », c'est une radicalité que j'assume.

Néanmoins ma chronique des Nouvelles est un espace de libre expression qui ne saurait engager en quoi que ce soit la direction départementale du PCF.

Recevez, monsieur, mes salutations communistes,

(Réponse à M. Rieu, 22 avril 2013)