Gilets jaunes : où est la violence ?

 

 

La manœuvre est classique. Pour les tenants de l'ordre établi, toute révolte populaire est illégitime, elle ne peut se fonder que sur le ressentiment et l'ignorance, l'envie et la stupidité. « Foule haineuse », feint de s'affliger Macron ; « factieux », « séditieux », s'offusque Castaner... Il faut donc déconsidérer, dénaturer une protestation populaire, stigmatisée en émeute ou subversion, en la réduisant aux violences qu'elle va inévitablement susciter. C'est toute la tartufferie des télévisions mainstream, en particulier celles dites d'information continue -qui ne sont pas par hasard, dans leur quasi-totalité, propriété des plus gros possédants de ce pays- : pendant des heures on étale complaisamment débordements et dégradations -avec pour bénéfice secondaire une augmentation de l'audience- puis, en suivant, on met en scène les éditocrates de service pour, à l'unisson, s'en indigner vertueusement. Au point qu'on pourrait ajouter une entrée au Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, Violence : ne pas manquer de s'en indigner...

Comme pour le terrorisme, il n'est pas bien vu de s'interroger sur les origines de la violence. On se rappelle les lamentables arguties de Valls. Précisons donc à nouveau que, pour les sciences sociales, analyser et expliquer, ce n'est ni justifier ni excuser mais connaître et comprendre la réalité. La violence n'est pas unilatérale et il y a des provocateurs dans les deux camps. Depuis l'affaire Benalla, amorce d'une milice présidentielle privée, et les charges policières injustifiables déjà dans les manifestations contre la loi-travail, on peut se demander si le pouvoir ne choisit pas délibérément l'affrontement. D'abord on dramatise à outrance, on criminalise préventivement, et Castaner voit des GJ venus « pour casser et pour tuer » ; en conséquence, on mobilise des moyens démesurés : autant de policiers que de manifestants, des CRS casqués et harnachés comme des robocop, des blindés de la gendarmerie, de la police à cheval et un véritable arsenal, LBD 40 (Flash-ball « amélioré »), lacrymogènes, grenades assourdissantes et dites de désencerclement... Résultat : plus de 5 000 gardes à vue et, pour quelques policiers regrettablement pris à partie, des centaines de manifestants humiliés, frappés, gazés, blessé, mutilés, éborgnés... Tout cela est parfaitement documenté... Jusqu'à l'activisme d'un Pinochet de sous-préfecture qui fait aligner contre un mur des lycéens à genoux, les mains derrière la tête ou menottés dans le dos... Cela a beaucoup fait rire Mme Ségolène Royal qui blague que cela leur fera des souvenirs... Infamie d'une politicienne sur le retour.

On sait depuis Max Weber, dans Le Savant et le politique, que tout Etat « revendique le monopole de l'usage légitime de la violence physique sur un territoire donné ». Or la Déclaration des Droits de l'Homme mentionne l'insurrection, si nécessaire, comme un des droits du peuple. Ce sont deux légitimités qui s'affrontent, celle d'un Etat que Macron met au service d'une minorité de privilégiés et celle de ce que Jean-Jacques Rousseau appelle la volonté générale, c'est-à-dire la volonté du peuple fondé sur le bien commun. La violence légitime de l'Etat s'incarne en France dans le concept répété sur tous les tons de « police républicaine ». M. B-H Lévy, bien au chaud dans son riad de Marrakech, clame sa « solidarité pleine et entière avec la police républicaine ». De quoi s'interroger sur les vertus de celle-ci.

Ce n'est pas un des moindre mérite des GJ que d'avoir fait surgir des catacombes de l'Histoire une armée de Versaillais en quête de Communards et autre « canaille » à éradiquer. M. Luc Ferry, philosophe de médias, qui n'a jamais élaboré le moindre concept philosophique et qui fut un ministre de l'Education Nationale parfaitement insignifiant, se prenant pour M. Thiers, s'est lâché sur Radio Classique : « Qu'ils (les policiers) se servent de leurs armes une bonne foi contre ces salopards d'extrême-gauche, d'extrême-droite et des quartiers... Que l'armée intervienne... elle est la 4ème du monde... elle est capable de mettre fin à ces saloperies ». Il doit être comblé, un GJ de Bordeaux, Olivier Beziade, a été dans le coma. Quant à la police « républicaine » elle a un passé. C'est bien la police « républicaine » qui a réprimé avec zèle la manifestation des Algériens le 17 octobre 1961, en en massacrant 200... C'est la même police « républicaine » qui s'est acharné sur les manifestants anti-OAS le 8 février 1962, causant la mort de 8 d'entre eux au métro Charonne...

 

NIR 219. 21 janvier 2019.