Archéologie du macronisme
Mépris de classe, arrogance, cupidité sont des comportements de dominants aussi anciens que la bourgeoisie. C'est dire que le macronisme qui les pratique avec ardeur n'a vraiment rien d'un « nouveau monde ». Avatar crépusculaire d'un demi-siècle de néo-libéralisme, Macron a parmi ses ancêtres des spécimens aussi affriolants que des Pompidou, des Reagan... Qui se souvient de cette sidérante allocution télévisée, en 1967, d'un Pompidou obsédé par la « concurrence » et les exigences de « sacrifices », une « thématique de Père Fouettard », comme dit Serge Halimi qui le cite dans son irremplaçable ouvrage publié en 2004 chez Fayard, Le grand bond en arrière. Comment l'ordre libéral s'est imposé au monde. Selon Pompidou, « vous avez pendant cinquante ans vécu à l'abri de protections inadmissibles (…). Il n'y avait aucune concurrence (…). La liberté de concurrence cela veut dire que ceux qui produisent le mieux et le meilleur marché gagnent (…). Il faut prendre des risques (…), vivre désormais dans la préoccupation permanente (…), toujours menacés par la concurrence (…). La loi de la concurrence (est) la seule raison d'être du libéralisme ». Conclusion : « créer de nouvelles protections », ce serait « inviter les gens à la paresse » (pp. 359-360). Ce credo est celui de Macron.
Par une étrange coïncidence, Pompidou, comme Macron, ont été banquiers chez Rothschild. L'argent est leur domaine. Une forme de terrorisme intellectuel interdirait aujourd'hui d'évoquer la banque Rothschild sous la suspicion insidieuse d'antisémitisme. C'est insupportable. La banque protestante est puissante et les dynasties des Schlumberger, des Neuflize, des Mallet n'ont rien à envier aux Rothschild ou aux Lazard... L'origine et la religion ne font rien à l'affaire. Mais il y a pire. Mettre en cause le capitalisme, c'est s'attaquer à l'argent et s'attaquer à l'argent ce serait s'en prendre aux Juifs. Conclusion de cet intolérable amalgame, tout anticapitaliste est un antisémite ! On notera avec intérêt que de prétendus philosémites reprennent ici sans se gêner un des poncifs les plus éculés de l'antisémitisme. Cette infamie rejoint une offensive idéologique en cours, insinuante, sournoise et mensongère, accusant la gauche dite radicale de complaisance pour l'antisémitisme, inventant un improbable ramassis « islamo-gauchiste » sans contenu ni doctrine ! Il faut résister à l'intimidation et proclamer que l'on peut être « en même temps » révulsé par l'antisémitisme et révolté par l'oppression que le gouvernement de l'Etat d' Israël inflige au peuple palestinien.
Revenons à l'archéologie du macronisme et donc aux mânes de Reagan. Certes celui-ci est à peu près à Macron ce que homo erectus fut à homo sapiens... On le sait, ce n'était pas une lumière. Il n'avait que deux idées (et encore les lui avait-on soufflées) : il faut baisser les impôts des riches et, dans l'idéal, les éliminer (les impôts, pas les riches) ; il faut baisser les aides sociales aux pauvres et, au besoin, les supprimer (les aides...). A peine dépoussiérés, ces articles de foi du catéchisme libéral sont au fondement du néo-libéralisme macronien. On a vu avec quelle précipitation, Macron, à peine élu, s'est empressé, de toute urgence, de tordre le cou à l'ISF et avec quelle obstination quasi irrationnelle il s'oppose à son retour !
Depuis quarante ans, l'idéologie dominante a bien tenté de donner un prétendu contenu scientifique à la fruste philosophie reaganienne. Le projet macronien n'en est qu'un pâle surgeon. C'est toujours la même fable de « l'entrepreneur » héroïque mais psychologiqueùent si fragile qu'il est « découragé » par les impôts qu'on lui inflige et du pauvre qui se prélasse cyniquement dans l'inactivité grâce à la manne des aides sociales... Et cela fait quarante ans que ce qu'on appelle le modèle social français est attaqué, tantôt amputé, tantôt grignoté, tantôt par la droite réactionnaire, tantôt par une social-démocratie convertie assez vite au social-libéralisme. Pour Rocard, en 1997, le « projet historique (des socialistes) est de promouvoir la libre-entreprise » et il n'a plus qu'en conclure, en 2003, que « le capitalisme a gagné » (Cité par Serge Halimi, p.486 et p.290). L'entreprise macronienne est de détruire définitivement dans toutes ses dimensions le compromis social de 1944-1947, cette protection sociale et ces services publics qui sont autant de défis à la vision libérale de la société et à la soi-disant implacable « loi du marché ». La loi de la jungle comme art de vivre, le chacun pour soi comme morale... C'est le monde à Macron !
NIR 225. 15 avril 2019