Services publics : pourquoi tant de haine ?

 

 

Quand on y pense, cela fait tout de même un demi-siècle (hormis une courte parenthèse) qu'est infligée à ce pays la même politique néo (ou ultra ou ordo) libérale. Depuis un demi-siècle, c'est le même programme autour de trois axes : réduire méthodiquement le champ de l'intervention publique ; abaisser systématiquement le niveau de la protection sociale ; rogner obstinément les droits des salariés. Et cela au nom d'une doctrine économique présentée comme la seule vérité et appuyée sur quelques dogmes, toujours les mêmes : des « charges » sociales exorbitantes pèsent sur un coût du travail toujours trop élevé, d'où la nécessité d'une « modération » salariale ; toute élévation du salaire minimum provoque du chômage ; le code du travail « décourage » les entreprises de créer de l'emploi ; les chômeurs se satisfont d'une situation d' « assistés » et doivent être « incités » à rechercher un emploi ; les dépenses publiques sont démesurées et le déficit est « abyssal », etc, etc. On connaît la chanson et ses inépuisables clichés. Et cela fait 50 ans que l'on nous vend la même salade sous des emballages divers : politique de « rigueur », politique « d'austérité », politique de « désinflation compétitive », politique « de l'offre »... Et toujours avec la caution de doctes économistes qui s'efforcent de donner un contenu « scientifique » à leurs préjugés idéologiques tout en prenant soin de neutraliser académiquement toute argumentation contradictoire et toute théorie concurrente. Et le relais est médiatiquement assuré par un journalisme dominant fait d'éditorialistes de cours et de perroquets de concours, rivalisant de conformisme et se copiant les uns les autres dans l'incompétence et la médiocrité...

C'est ainsi que le macronisme n'est qu'une péripétie subalterne de ce libéralisme qui a envahi toutes les sphères de la société et dont le seul projet est la destruction de ce qu'on appelle le modèle social français, ses services publics, son système de protection sociale. Le programme est déjà bien avancé mais il faut toujours en rajouter car si les mesures libérales échouent, par exemple en matière d'emploi, ce ne serait pas parce qu'elles sont mauvaises mais parce qu'elles ne sont jamais assez libérales... Mais pourquoi tant de haine ? Le modèle social français est issu d'une sorte de compromis historique à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1944-46. Ce compromis résulte d'un double attachement, attachement à la puissance de l'Etat chez les gaullistes, attachement à la justice sociale chez les communistes. C'est ainsi que la puissance de l'Etat a été mise au service de la justice sociale. Certes, tout n'a pas été aussi simple. Il y a eu des débats, des refus, des reculs, des inerties, des utopies... Mais l'esprit des Jours heureux, premier titre du programme du Conseil national de la Résistance a été longtemps maintenu.

Il a été par la suite caricaturé par les libéraux sous la fameuse expression d'Etat-providence, comme si les bienfaits de la protection sociale tombaient du ciel à la suite de quelque mandement divin. La formule est d'ailleurs certainement d'origine catholique et issue de la doctrine sociale de l'Eglise à la fin du XIXème siècle. En fait, il s'agit d'un Etat régulateur garant de l'efficacité de l'Etat social lequel n'est évidemment pas le socialisme. Sa mise en place a été aussi permise par la mémoire de trois faits historiques : la disqualification du libéralisme d'avant-guerre et de son « Mur d'argent » ; la marque des luttes sociales du Front populaire ; l'effondrement de la droite traditionnelle et du patronat compromis dans le pétainisme et la collaboration.

Le principe même du service public se heurte frontalement à l'idéologie libérale. Il est la preuve qu'une activité humaine peut se passer de la recherche du profit individuel. Il assure une forme de redistribution des revenus et en ce sens on a pu dire que les services publics constituaient le patrimoine de ceux qui n'ont pas de patrimoine. Il faut ajouter que le service public n'est pas fondé sur l'idée de partage d'un gâteau dont chacun aurait un morceau mais sur celle bien plus solidaire de bien commun. Enfin, les notions de continuité et d' accessibilité pour tous excluent par définition toute logique de rentabilité financière. Toutes choses insupportables pour les libéraux. D'où leur acharnement à accabler le service public, à le déconsidérer, à le priver de moyens, à chercher à lui imposer des pratiques du privé incompatibles avec ses missions auprès de la population.

 

NIR 226. 29 avril 2019