Fonction publique et libéralisme
Le modèle social français repose sur deux piliers : une fonction publique structurée dont le statut garantit l'indépendance des agents de l'Etat face aux gouvernements qui passent et assure la continuité de l'Etat républicain ; une protection sociale qui permet d'instaurer autant de justice sociale qu'il est possible en système capitaliste par l'égalité des droits, la solidarité collective, la redistribution. Ces deux institutions sont depuis toujours l'objet de la vindicte des libéraux. Principal procès (avoué) : elles occasionneraient des dépenses exorbitantes. Selon Eric Woerth, homme d'argent qui fut le collecteur en chef de Sarkozy auprès des grandes fortunes : « Où sont les dépenses ? Dans le modèle social et dans la masse salariale (de la F.P.) » (cité par le Monde, 24/25.03.2019). On reconnaît bien ici l'inhumanité foncière de l'indécrottable libéral conservateur pour qui tout ce qui peut permettre aux classes populaires d'être moins démunies doit être éradiqué. On sait par ailleurs que les inégalités s'accroissent partout en Europe avec des taux de pauvreté élevés. Cependant c'est grâce au modèle social vilipendé par M. Woerth que la France est officiellement un peu moins touchée avec un taux de pauvreté de 14,7% contre 16,1% en Allemagne, 16,5% au Danemark, 20% en Italie (le Monde, 03.04.2019).
La Fonction publique en France a toujours été caricaturée, accusée de tous les maux et, contradictoirement, ou de routine bureaucratique ou de dérive technocratique. Dans une perspective platement néolibérale, Macron en continue le procès et veut supprimer 120 000 postes, sauf qu'il se heurte à une demande croissante de services publics. Ce que montre les sondages, c'est que les Français ne sont pas préoccupés par le nombre de fonctionnaires mais bien par l'affaiblissement ou la disparition des services publics. D'où l'impasse dans laquelle se trouve le macronisme : comment mieux faire fonctionner les services publics avec moins de fonctionnaires ! La réponse, on l'a vue, c'est la potion magique du « New public management ». Du jargon ! Et une menace... Il va s'agir d'installer des « managers », de vrais chefs chargés de recruter des cadres moins compétents que compatibles en se passant de l'avis des commissions administratives paritaires pour neutraliser les syndicats. Le tout en vidant de sa substance le statut de la F.P. avec une armée de contractuels encouragés à naviguer entre public et privé, systématiquement précarisés conformément au catéchisme libéral selon lequel les individus devraient être insécurisés pour être efficaces car alors obligés de puiser dans leurs seules « ressources » personnelles. La « rémunération au mérite » repose sur le même préjugé pseudo-psychologique et on sait bien que le « mérite » en question ne fait le plus souvent que récompenser les plus conformes et les plus dociles.
Par ailleurs, contrairement aux lieux communs habituels, en France, la F.P. N'est pas pléthorique : elle représente 8,8% de la population (contre 9,4% en 1995). C'est très en-dessous de pays réputés les plus « heureux » en Europe et dont on nous vante le modèle : Danemark, 14,3% ; Suède, 13,5%. En Allemagne, ce chiffre est de 6,1% mais, comme même l'Obs le reconnaît (09.05.2019), le personnel hospitalier en Allemagne relève du privé ce qui inverse les pourcentages et... ne coûte pas moins cher ! On ne manque pas d'exemples où le système de santé privé est catastrophique. C'est évidemment le cas aux Etats-Unis, un système ultra-libéralisé où ne compte que l'argent. En France, lorsqu'on arrive dans un établissement de santé, on vous demande tout de suite votre carte vitale ; aux Etats-Unis, lorsqu'on arrive dans un établissement de santé on vous demande tout de suite votre carte... bancaire ! Résultat, aux Etats-Unis les dépenses de santé sont le double de celles de la France, les pauvres ne peuvent pas se soigner, l'espérance de vie des Américains a baissé, elle est de 78,6 ans contre 82,3 ans en France, la qualité des soins pour la majorité de la population est dégradée... Dans la tradition philanthropique américaine (qui permet de ne pas remettre en cause le système) des groupes de médecins et dentistes bénévoles viennent régulièrement assurer dans certains Etats des soins en séries pour plusieurs centaines de patients sans assurance suffisante (le Monde, 28.03.2019)... Le système de santé américain privé est un naufrage. Un exemple à méditer alors que le macronisme -qui sacrifie déjà les Urgences- œuvre au démantèlement du système de santé français public !
NIR 229. 10 juin 2019.