Massacres
La violence symbolique est un des moyens essentiels de la domination de classe. La bourgeoisie n'a cependant jamais répugné à l'usage de la violence physique, purement matérielle. Il se trouve même des idéologues aujourd'hui pour célébrer les bienfaits d'une bonne répression. Récemment, on a vu Zemmour le venimeux (voir Gérard Noiriel, Le venin dans la plume) proclamer fièrement : « Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence par massacrer les musulmans et même quelques Juifs. Et bien moi je suis aujourd'hui du côté du général Bugeaud » (sic). Et il paraît que c'est ça être Français ! C'est-à-dire au nom d'un certain « patriotisme » justifier toutes les saloperies. De même, sur une quelconque télé d'information continue, c'est Barbier le suffisant, toujours content de lui, qui révise l'histoire : « En massacrant les communards (Adolphe Thiers) sauve la ville de Paris ! Sinon nous aurions eu Lénine maire de Paris ». L'anachronisme est ici particulièrement stupide mais ce qu'il faut retenir c'est que le massacre revient décidément à la mode chez les argousins de l'ordre établi.
Et ce n'est pas par hasard. Plusieurs observateurs ont déjà signalé la systématisation d'une répression violente des manifestations dès la protestation contre la loi travail de 2016. Les violences policières ne sont pas des actes isolés, remarque la politologue Vanessa Codaccioni, « elles font système et sont une réponse à des ordres soit de la hiérarchie policière, soit des préfets » (le Monde, 03.08.2019). Il y a un basculement qualitatif où la police, « au lieu de pratiquer comme ailleurs la mise à distance des manifestants privilégie, à l'inverse, le contact » (Isabelle Sommer, sociologue, le Monde, 20.09.2019). On assiste de la part des forces de répression à une recherche de l'affrontement, à « la multiplication des corps à corps et des charges » (Vanessa Codaccioni). Le tout s'accompagne d'un surarmement. Les traditionnelles grenades lacrymogènes paraissent presque bénignes devant les grenades dites « de désencerclement » et les LBD dont Vanessa Codaccioni rappelle qu'elles sont « reconnues par la réglementation internationale comme armes de guerre ». La police est ainsi militarisée, alignée sur la gendarmerie, comme si le pouvoir avait déclaré la guerre à son peuple.
L'objectif encore inavoué de cette intimidation/répression est bien d'empêcher de revendiquer, les mises en scène médiatiques d'affrontements font le reste en visant à criminaliser et disqualifier toute contestation de l'ordre politique, économique et social. Ne nous y trompons pas : seuls la puissance du mouvement contre la réforme des retraites et le soutien d'une large majorité des salariés empêchent le pouvoir de mettre en œuvre, pour le moment, sa nouvelle stratégie répressive. Même un avocat macroniste, François Sureau, fustige le « spectacle des forces de l'ordre armées en guerre patrouillant dans les rues des villes, l'abus des sirènes de police, la recension des blessures mutilantes dues aux armes modernes » et conclut : « nous nous sommes déjà habitués à vivre sans la liberté » (Sans la liberté, coll. « Tracts », Gallimard, 2019).
Il y a une raison de fond. Les fameuses « réformes », jamais qualifiées, comme si elles étaient une fin en soi, serinées depuis 40 ans et qui ne sont que l'asservissement aux dogmes néolibéraux ne passent décidément pas. Il va falloir passer en force pour imposer aux sociétés les normes néolibérales. Et pas seulement en France : « La réponse néolibérale » s'avère « partout de plus en plus crispée, répressive, autoritaire » (Laurent Jeanpierre, l'Obs, 05.12.2019). Selon le mot du journaliste économique Romaric Godin, « les élites néolibérales ne veulent plus transiger avec le corps social » (www.lvsl.fr). C'est une véritable déclaration de « guerre sociale » où toute la violence d'Etat sera engagée pour détruire en France un modèle social qui reste en travers de la gorge des tout-puissants marchés. Le macronisme, dernier avatar de « l'extrême-centre » (Pierre Serna), incarne aujourd'hui ce néolibéralisme autoritaire où la démocratie libérale elle-même va apparaître superflue.
NIR 238. 13 janvier 2020.