Le libéralisme au temps du coronavirus

 

 

C'est la panique chez les adorateurs du marché. Ne voilà-t-il pas que Macron feint de découvrir les services publics, l'hôpital public et même l'improprement nommé « Etat-providence ». On va jusqu'à parler, horreur ! de nationalisations, comme celle d'Air France. Dans une envolée blasphématoire qui lui a sans doute échappé, Macron s'écrie qu'il « est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Celles-ci pourraient donc être toxiques? Je n'en crois rien. Pire que tout, voilà qu'il serait demandé aux grandes sociétés de bien vouloir « faire preuve de la plus grande modération dans le versement de dividendes à leurs actionnaires ». Comment ! Les valeureux premiers de cordée ne seraient que d'infâmes rapetous ? Pour le ministre Le Maire, transfiguré en réformateur, « il faut un nouveau capitalisme plus respectueux des personnes, plus soucieux de lutte contre les inégalités et plus respectueux de l'environnement ». Ciel ! Il ne l'était donc guére...

Chez les économistes libéraux, c'est la débandade. La plupart se taisent, certains essayent de sauver ce qui peut l'être, d'autres mentent effrontément. Deux ou trois d'entre eux, particulièrement gratinés, sont épinglés sur www.acrimed .fr. L'un d'eux ne sera nommé ici que parce que, emblématique, il se montre toujours aussi péremptoire qu'envahissant. Il s'agit d'un certain Nicolas Bouzou qui admet, toute honte bue et avec toujours autant de morgue, que le « coût (de la situation) pour les finances publiques sera très très élevé, quelque chose qu'on a tout à fait raison d'assumer » (sur Europe 1, le 14 mars)... Il faut dire que ce nouveau partisan de l'intervention de l'Etat était jusqu'à présent un violent détracteur de ce qu'il appelle la « dépense publique », jusqu'à un sommet de compétence et de lucidité, ce tweet du 29 octobre 2014 : « On se dit la vérité maintenant ? Dans 10 ans nous aurons 2 fois trop de lits d'hôpitaux. Productivité potentielle énorme ». C'est à ce genre de « vision » que l'on mesure la responsabilité de tels personnages.

Ainsi que le disaient les manifestants pour la défense de l'hôpital public, «l'Etat compte ses sous, on comptera les morts ! ». On y est. C'est le résultat de dizaines d'années de dogmatisme néolibéral et de politiques d'austérité criminelles. Comme le dit Frédéric Lordon, sur son blog du Diplo, « le coronavirus accuse, révèle, souligne les effets des politiques néolibérales, leur nuisance désorganisatrice, une toxicité générale ». On pourrait multiplier les exemples funestes. C'est la gestion « managériale » des hôpitaux, la fameuse tarification à l'activité (T2A) faisant de l'hôpital une « entreprise commerciale vendant à la Sécurité sociale des séjours » (Pr. André Grimaldi, l'Humanité, 01.03.2020). C'est la logique de l'« hôpital flux » où un lit qui reste libre est un manque à gagner alors que, comme l'indique encore le Pr. Grimaldi, « l'Hôpital public ne peut pas fonctionner comme une clinique privée qui choisit ses patients pour optimiser sa plomberie » (le Monde, 12.03.2020). Sait-on que le nouveau ministre de la santé, Olivier Véran, est un adversaire déclaré de la Sécurité sociale ? Rapporteur de son budget en 2017, il voulait la rebaptiser « Protection » sociale afin de faire place à la concurrence et aux fonds de pension. Il défendait une coupure de 1,2 milliards dans son budget et une de 3,1 milliards dans celui de l'Hôpital public. On commence à savoir aussi que la France, fin 2009, disposait de 1 milliard de masques chirurgicaux et 723 millions de masques FFP2 stockés et gérés par un Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). En 2013, le secrétariat général de la défense et de la sûreté nationale (SGDSN) décide de s'en débarrasser pour faire des économies. Le stock est dispersé et disparaît chez les « employeurs » (Aurélien Rouquet, logisticien, le Monde, 25.03.2020).

Ne nous y trompons pas, ils veulent changer pour que rien ne change... Si, « aujourd'hui, le néolibéralisme tue, littéralement », selon le sociologue Pierre-André Juven, ce n'est ni par « impréparation » ni par « amateurisme », mais par calcul, ainsi que le remarque Laurent Mouloud dans l'Humanité. L'Etat-providence de Macron sera destiné aux « entreprises » puisque selon le dogme elles seules peuvent produire des richesses, en réalité, il va s 'agir de rétablir profits et dividendes. Et l'on parle déjà d'augmenter la durée du travail, de renoncer aux congés, de mettre entre parenthèses le code du travail...

 

NIR 244. 6 mars 2020