La légalité capitaliste I
La cause est entendue: pour qui aurait pu, de bonne foi, encore en douter, il est aujourd’hui aveuglant que le capitalisme ne peut, par ses fondements mêmes, que bafouer en permanence les principes élémentaires de la morale, de la justice et même de la simple humanité. Les maîtres du monde lâchent alors un peu de lest, de manière négligeable, sur les « rémunérations » ou, comme au G 20, de manière dérisoire, sur les paradis fiscaux, et cela malgré des résistances obtuses comme celles de Parisot. Mais surtout les idéologues conservateurs retrouvent exactement les vieux réflexes de conservation. Alain Minc, par exemple, que l’on voit partout dans les médias en ce moment, admoneste les patrons réticents qui ne comprennent rien dans un éditorial du quotidien gratuit Direct Soir(journal de Bolloré ami de Sarkozy) où il regrette « l’incroyable maladresse des grands patrons (...): leur argumentaire est rationnellement acceptable, mais il est politiquement inacceptable et socialement provocateur; que ne méditent-ils le vieux principe du prince de Lampedusa dans Le guépard: tout changer pour que rien ne change » (24.03.2009). Faut-il s’étonner de voir Jean Daniel reprendre la même référence dans le Nouvel Observateur: « Les maîtres de l’économie de marché ont compris , comme le prince du « Guépard », qu’il fallait que tout change pour que tout continue » (9-15 avril 2009)?
Comment cette rouerie cynique et cette cupidité « rationnellement acceptable » pourraient-elles s’accommoder de principes moraux? Quelle sordide farce que les prêches de certains pour un « capitalisme éthique »! Car, bien entendu, les capitalistes ne peuvent pas renoncer explicitement à toute morale. Le cynisme affiché de ce membre de la Maison Blanche déclarant: « c’est immoral mais c’est légal » devant les « bonus » accordés aux dirigeants de l’assureur AIG qui venait juste d’être sauvé de la faillite par le Trésor américain est relativement exceptionnel. Ce qui est introduit ici c’est la notion delégalité laquelle, dans une société de classes, ne peut être qu’au service des dominants. Généralement, les libéraux préfèrent à la loi le contrat entre individus prétendus libres et l’on a dit, à juste titre, qu’entre le faible et le fort, c’est la loi qui protège et c’est la liberté qui opprime. A condition que la loi soit l’expression de la volonté générale. Or les capitalistes, tout en prétendant limiter l’emprise des lois, savent les fabriquer à leur profit. On pourrait alors dire ici que la légalité capitaliste est ce qui va permettre d’aménager la distorsion entre des valeurs morales reconnues et les intérêts bien compris du capitaliste. On va même fonder la légitimité de la légalité capitaliste sur de prétendues lois transcendantes: la loi divine chez les anglo-saxons, la loi républicaine en France, les lois de l’économie (de marché) faites nature, avec toute l’anthropologie qui en découle, pour tous.
Jaurès définissait la légalité capitaliste comme « un ensemble de lois destinées à protéger l’iniquité fondamentale de notre société; il y a des lois qui consacrent le privilège de la propriété capitaliste, l’exploitation du salarié par les possédants ». Il opposait ces « lois de privilège et de rapine » à celles qui, néanmoins, « résument les pauvres progrès de l’humanité, les modestes garanties qu’elle a peu à peu conquises par le long effort des siècles et la longue suite des Révolutions ». On va le voir, en régime libéral, la loi est douce aux dominants et dure aux dominés. Il y a en quelque sorte deux lois deux mesures et les possédants, les riches et les patrons gagnent à tous les coups. On pourrait multiplier les exemples avec les contrôles, tracasseries et règlementations tatillonnes pour les allocataires de prestations sociales ou les décrets, arrêtés et mandements divers à la limite de l’inhumanité contre les sans-papiers, mais c’est dans le domaine économique et social que l’arrogance de la légalité de classe, avec Sarkozy, va se manifester avec le plus de cynisme. Cela d’autant plus que Sarkozy, il est toujours opportun de le rappeler, est l’ami et l’obligé de toute une série de grands patrons, les Bolloré, Arnaud, Bouygues, de Castries, Lagardère, etc. De longue date, la bourgeoisie a cherché en permanence à remettre en cause les « modestes garanties » conquises par les exploités dont parle Jaurès, les attaques récurrentes contre le Code du travail en sont un exemple connu. Mais jamais comme sous Sarkozy on a, avec autant d’impudence, multiplié les avantages légaux pour les possédants. Du «bouclier fiscal» à la dépénalisation du droit des affaires en passant par le refus de légiférer sur le scandale des rémunérations exorbitantes des grands patrons, c’est-ce que nous allons voir.
13 avril 2009