Les fondamentaux du sarkozysme III

Reprenant les analyses de Loïc Wacquant, j’indiquais ici même, fin 2006, comment la priorité des politiques néolibérales qui gangrenaient alors depuis 20 ou 30 ans, selon les pays, les sociétés occidentales était la destruction de l’Etat social (la « main gauche de l’Etat » pour reprendre une expression de Bourdieu). Mais la dévastation sociale que le saccage des acquis sociaux allait entraîner nécessitait la mise en place d’un dispositif de prévention des résistances : ce sera l’invention de l’idéologie sécuritaire permettant la promotion de l’Etat pénal selon l’expression de Wacquant.

Longtemps tenu dans les limites du keynésianisme, le libéralisme, dès les années 70 aux Etats-Unis, en rejette les oripeaux : ce sera l’explosion néolibérale, d’ailleurs préparée de longue date (voir Serge Halimi, Le grand bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Fayard, 2004). La contre-révolution reagano-thatchérienne essaimera ses métastases et, en 1983, le « tournant de la rigueur » de la première présidence Mitterrand, en sera, en France un des premiers symptômes. Encore que, dès 1967, Pompidou, alors premier ministre de de Gaulle, proclamait : « vous avez pendant cinquante ans vécu à l’abri de protections inadmissibles ... il n’y avait aucune concurrence... la liberté de concurrence... il faut en prendre les risques... vivre désormais dans la préoccupation permanente... toujours menacés par la concurrence... c’est la seule raison d’être du libéralisme... Nous serons en risque permanent et (le rôle du gouvernement) n’est certainement pas d’inviter les gens à la paresse en leur créant de nouvelles protections » (cité par Serge Halimi, ouvr. cité, pp. 359-360). Quelques années plus tard, Bérégovoy n’a pas dit autre chose. On connaît les dispositions qui ont suivi : réduction des dépenses publiques, privatisation des services publics, « flexibilisation » du « marché du travail », libéralisation du commerce, des services financiers, des marchés des capitaux et, donc, concurrence en tous temps et en tous lieux (voir economistes- atterres.blogspot.com).

Le principal effet de l’application des préceptes néolibéraux débouche aujourd’hui, pour le plus grand nombre, sur le phénomène maintenant bien connu, sinon reconnu, del’insécurité sociale. Celle-ci est en fait la mère de toutes les formes d’insécurité, quoi qu’en disent les libéraux qui préfèrent rejeter celle-ci sur la responsabilité individuelle d’acteurs sociaux prétendument rationnels, libres et égaux, agissant seulement en fonction d’un calcul coût/avantage (Laurent Bonelli, Urgences sociales, outrance sécuritaire, le Monde diplomatique, septembre 2010). Notons cependant que les libéraux n’hésitent pas à renier leurs propres principes lorsque, comme Sarkozy, ils s’emploient à stigmatiser des catégories sociales entières, sans distinction d’individus, comme les immigrés, les jeunes de banlieue, les Roms. Pour les masses victimes de l’insécurité sociale, deux comportements sont possibles : la soumission ou la révolte. Pour la première, dans notre société, toutes les formes de socialisation y concourent avec, en particulier, la formidable machine à fabriquer du conformisme que constitue l’ensemble des médias

C’est pour la seconde, toujours possible, qu’intervient l’idéologie sécuritaire en construisant des relations sociales fondées sur la peur de l’autre et dont l’objectif est, à terme, la pénalisation, voire la criminalisation de toute forme, même passive, de contestation ou de résistance face à l’ordre établi. Cibles faciles parce qu’ils n’ont aucune représentation institutionnelle, les immigrés, les jeunes de banlieue, les Roms sont mis en avant comme bouc émissaire en jouant sur les préjugés racistes les plus odieux. Il s’agit d’entretenir chez les dominés un climat de haine raciste et de xénophobie à l’égard des plus déshérités d’entre eux. Vieille stratégie des possédants pour assurer leur domination : construire et alimenter les haines entre pauvres (titre d’un article d’Alain Accardo, dans la Décroissance, septembre 2010). Il s’est même trouvé un « sociologue » pour découvrir récemment une catégorie sociale particulièrement dangereuse : les Africains du Sahel! Les stigmatisations collectives utilisées par les libéraux, en contradiction avec leurs propres principes, relèvent d’une véritable guerre sociale dont nous allons voir les moyens.

20 septembre 2010