Les fondamentaux du sarkozysme IV
Le philosophe André Tosel utilise deux concepts définissant parfaitement ce que j’appelle ici les fondamentaux du sarkozysme (HD, 26août/1er septembre 2010 et www.marxau21.frwww.marxau21.fr ). Le concept dedésémancipation sociale, qu’illustre ce que j’ai désigné comme le démantèlement de l’Etat social, caractérise une « soumission réelle du travail et de l’économie aux impératifs de l’accumulation financière » et la « liquidation des solidarités de travail et de coopération, destruction de ce compromis socio-politique qu’avait été l’Etat social de l’après-guerre ». Face aux résistances suscitées par le matraquage social, le pouvoir a mis en place plusieurs formes de matraquage pénal, constituant ce que Tosel appelle une guerre civile préventive illustrée par une stratégie organisée et délibérée où l’administration de la nation se réduit peu à peu à un Etat pénal (les fameuses fonctions régaliennes) multipliant les circonstances où peut s’exercer la répression. Il s’agit bien de criminaliser à terme le mouvement social et l’on a vu, récemment, deux militants-manifestants condamnés à 3 mois de prison ferme en cinq minutes d’audience. La justice de classe a une longue histoire et n’a pas dit son dernier mot même si on peut percevoir, dans une partie de l’appareil judiciaire, quelques réticences à lui faire jouer ce rôle.
La stratégie de guerre civile préventive est une stratégie de peur et d’intimidation. Ce n’est pas un hasard si le pouvoir se met opportunément à agiter l’épouvantail Ai Qaida. Tous les sbires de la sarkozye se pressent pour annoncer le pire. Au premier rang, bien sûr, le patibulaire Hortefeux et ses glaçantes injonctions, le genre d’argousin devant lequel on a toujours l’impression d’avoir quelque chose à se reprocher et pour qui un innocent est toujours un coupable qui s’ignore. Mais aussi les supposés experts, Squarcini, directeur au renseignement intérieur, pour toutes les basses besognes, Péchenard, directeur de la police nationale, des amis du président -mais ça n’a rien à voir, bien sûr- qui vont prêchant, tout d’un coup, que la « menace » d’un attentat terroriste « n’a jamais été aussi grave ». La manipulation est grossière mais les perroquets UMP n’en vont pas moins en diffuser un peu partout les « éléments de langage ».. Répétons-le, il ne s’agit pas d’une simple opération de diversion face aux révélations accablantes de l’affaire Woerth-Bettencourt ou face à la protestation populaire soulevée par la contre-réforme des retraites mais bien de la mise en place d’un méga-contrôle social analogue à ce que Michel Foucault a appelé le bio-pouvoir. Rappelons- nous le trucage grotesque de l’affaire de Tarnac où s’est définitivement ridiculisée la malheureuse Alliot-Marie. Il s’agissait de fabriquer de toutes pièces un prétendu terrorisme « d’ultra-gauche » censé glacer d’effroi tous les bons citoyens de ce pays. On s’achemine tranquillement vers une annulation complète de la procédure (l’Humanité, 23.09.2010) tant les bidouillages et les incohérences en sont évidents. Au pouvoir, personne ne s’en vante mais l’essentiel était de provoquer un réflexe de peur sociale contre un « ennemi intérieur », réflexe devant conduire tous les « bons Français », comme dit l’autre, à chercher aide et protection sous l’aile ferme et bienveillante du pater de l’Elysée.
Tosel évoque « l’organisation institutionnelle et quotidienne d’une politique de guerre sociale » visant à « délégitimer de façon préventive toute juste colère ». La voie la plus abjecte semble en être aujourd’hui l’instrumentalisation de « l’incertitude existentielle qui frappe les plus exclus et les plus pauvres » pour la détourner en « haine à l’égard de minorités constituées par des fractions ou segments de populations encore plus exclues et encore plus pauvres » (ce que j’ai désigné comme les haines entre pauvres). Cependant ce détournement repose sur un préjugé, qu’il faut absolument interroger, selon lequel les classes populaires seraient naturellement racistes. Comme le remarque Jacques Rancière, pour certaines élites intellectuelles le racisme serait une « passion populaire, la réaction apeurée et irrationnelle de couches rétrogrades de la population » (www.mediapart.fr). En réalité le pouvoir sarkozyste instrumentalise moins le racisme présumé des couches populaires qu’il n’institue lui-même un véritable racisme d’Etat dont nous allons voir les aspects et les moyens.
4 octobre 2010