« Règle d'or » et souveraineté populaire
Nous sommes aujourd'hui dans une phase d'exténuation de la démocratie libérale et de sa forme représentative et délégative. L'histoire de la démocratie libérale est celle de sa méfiance permanente à l'égard du peuple, l'histoire des limitations mises à l'expression de la souveraineté populaire et de la volonté générale à l'aide de toutes sortes d'artifices électoraux. On a vu les hurlements indignés et paniqués de nos grands démocrates à la seule idée que le peuple grec puisse être directement consulté par référendum. On sait que si, lors d'un référendum, le peuple ne suit pas leurs doctes recommandations, il est alors accablé de leur mépris et accusé de céder aux pulsions malsaines suscitées par de mauvais bergers « populistes ».
Le bipartisme constitue une première parade face aux revendications populaires : présenter alternativement les deux faces d'une même pièce en guise de changement. On sait que les sociaux- démocrates se prêtent avec gourmandise à cette imposture. Mais cela ne suffit plus, on n'est malgré tout jamais sûr du vote populaire. C'est alors le concept de gouvernance que l'on nous vend, c'est-à- dire le gouvernement d'une élite fondé sur l'expertise et, accessoirement, pour faire bien, sur la raison, disent-ils. Nous serions ainsi dirigés par les « capacités », ce qui est, à peu de choses près, la doctrine élaborée par Guizot sous la monarchie de Juillet. Voilà qui ne nous rajeunit pas ! Certes, le suffrage n'est plus censitaire (quoiqu'il existe des formes invisibles de cens politique) mais le peuple serait convié régulièrement à déléguer son pouvoir à des représentants qui eux-mêmes le délègueraient à une instance européenne extérieure, non élue, plus ou moins transparente, évidemment composée d'experts en économie de marché.
Le dispositif impunément appelé « « règle d'or » est le premier jalon de cette confiscation de la souveraineté populaire. Il s'agit de constitutionnaliser l'idéologie néolibérale afin d'interdire toute alternative et toute reprise en main de ses propres affaires par le peuple lui-même considéré comme ignorant et irresponsable. Rappelons ce que cela signifie en matière de financement de la dépense publique. Redisons d'abord qu'un déficit public n'a rien de dramatique et qu'il est dans l'ordre normal de la gestion d'un Etat. La façon la plus naturelle de financer la dépense publique est l'impôt : si l'on veut augmenter les dépenses publiques, le plus simple est d'augmenter les recettes publiques. Et on sait qu'en la matière il y a une énorme marge de manœuvre chez les plus nantis, admise même par certains d'entre eux dans le but d'amuser la galerie. Mais la plupart renâclent. Un certain Beigbeder, « grand » patron de Poewo reprenait ainsi doctement sur France Inter, à propos de réforme fiscale le vieux cliché libéral selon lequel « trop d'impôt tue l'impôt », sauf que, quelques instants auparavant, il venait de demander, tiens donc, de porter le taux normal de la TVA de 19,6 à 25% ! Parce que la TVA, ce n'est pas un impôt alors ? C'en est un, et le plus injuste : l'impôt sur les pauvres. Trop de TVA ne tuerait-elle pas ainsi la TVA ? Il faudrait que M. Beigbeder nous explique. Il est vrai qu'il ne connait qu'un seul impôt, celui des riches.
Une deuxième sorte de financement serait, on l' a déjà vu, la création monétaire par la Banque Centrale de tout Etat. Les libéraux, qui tiennent tous les leviers de l'Union européenne, ont prévu le coup et ont fait interdire toute possibilité de création monétaire dans les statuts de la BCE. Ce qui n'est pas du tout le cas aux Etats-Unis, notons-le. Il ne reste plus, et c'était bien calculé, que les marchés financiers lesquels ont trouvé la poule aux œufs d'or (toujours l'or!) dans la dépense publique des Etats qui se rendent devant eux la corde au cou.
7 novembre 2011