Soudain, les riches pouvaient payer

On en apprend de belles en ce moment. On voit des politiciens retors, comme Xavier Bertrand, découvrir soudainement les « rémunérations extravagantes » et les « bonus faramineux » des grands patrons... On voit des idéologues sournoisement libéraux, comme Laurent Joffrin, dénoncer sans vergogne, avec le zèle des néo-convertis, les « féodalités financières » et les « maîtres de l'argent » (Nouvel Observateur, 18.08.2011). Arrêtons-nous un instant sur ce cas. Comme le rappelle Pierre Ivorra dans L'Humanité (19/20/21.08.2011), c'est « depuis le milieu des années 1980 (que) tout a été fait pour favoriser les placements des ménages et des entreprises sur les marchés financiers ». Qui se souvient que, à cette époque, un certain Laurent Joffrin, avec toute la force de ses petits bras, fut de ceux qui travaillèrent à inoculer le virus du néo-libéralisme dans la gauche électoralement victorieuse : célébration du marché, de la compétitivité, de l'entreprise, dénigrement de l' « Etat- providence », des fonctionnaires, des « charges », des « avantages acquis » ? On faillit même voir aboutir la calamiteuse tentative d'une candidature présidentielle du pitoyable Yves Montand travesti en « Reagan français », ainsi que le rappelle la succulente bande dessinée sur La vie sentimentale de Laurence P. publiée cet été par L'Humanité.

Joffrin flétrit aujourd'hui, néanmoins, le « reaganisme planétaire » qui « a si longtemps favorisé les classes riches » (pourquoi, elles ne le sont plus, favorisées?). Le voilà qui pourfend la « désastreuse sacralisation de l'argent fou » et affirme que « les idées qui nous gouvernent depuis trente ans s'effondrent sous nos yeux ». Sauf que ces « idées » sont bien celles que Joffrin défend depuis le même temps, ce qu'il appelle maintenant des « dogmes usés » : « moins d'Etat, moins d'impôts, moins de salaires, plus de bonus ». Il n'y a pas si longtemps pourtant, en 2007 encore, il déplorait que la gauche (laquelle?) ne les ait pas complètement adoptés. Joffrin nous annonce que « le libéralisme s 'effondre comme système » mais ajoute cependant que, « comme idéologie, il est toujours debout ». C'est un peu, entre autres, grâce à lui. Sous l'aimable titre « La gauche bécassine », en 2007, donc, il daubait sur les « dogmes usés » et les « tabous » d'une gauche insuffisamment convertie, selon lui, à la modernité libérale. Ce qui lui valut les applaudissements de Raffarin et les compliments du Figaro. De mauvais esprits lui décernèrent même le prix de l'année du « livre courtisan », prix attribué à « l'oeuvre la plus complaisante à l'égard des puissants de ce monde ».

Quand les communistes et quelques autres affirmaient : « il faut faire payer les riches », Joffrin et les idéologues de son acabit n'avaient pas assez de quolibets et d'insultes pour vilipender cette idée «ringarde»: démagogie, populisme, archaïsme d'attardés d'un marxisme «dépassé» et ignorant des critères de « l'efficacité économique », une « mesure d'un autre temps », comme aimait à dire Seillière, qui ferait fuir l'argent d'honorables nantis dont il ne venait alors à l'idée de personne de questionner le sens civique... Aujourd'hui, finis les sarcasmes : l'idée est à la mode, les Joffrin mangent leur chapeau et les riches eux-mêmes demandent instamment qu'on les taxe, dans un élan de générosité qui émeut aux larmes le bon peuple. Allons, maîtrisons notre émotion, pas besoin d'aller bien loin pour apercevoir l'énormité de la fumisterie : une petite pièce peut acheter, qu'ils croient, la paix (sociale)... On va y revenir.

29 août 2011