M. Hirsch, la charité et le socialbusiness

Encore un mot sur la mauvaise plaisanterie qui a plus ou moins égayé notre fin d'été : la « taxation » des riches. Beaucoup ont bien compris l'inanité de cette aumône méprisante. Peu en ont souligné l'indécence. Pas un seul des économistes officiels qui pérorent dans les médias n'a osé ne serait-ce que faire semblant de prendre l'imposture au sérieux. Thomas Piketty, économiste atterré, rappelle quelques chiffres (le Monde, 26.08.2011) : la récente réforme de l'ISF fait perdre plus de 2 milliards d'euros au budget, une « contribution » de 3% en rapporterait 200 millions, soit 10 fois moins que ce qui a été perdu. Si l'on ajoute que, selon Piketty, 80% des revenus financiers échappent au « revenu de référence », il ne reste plus à l'Etat qu'à emprunter aux banques. La fameuse « dette », pour l'essentiel, est ainsi entièrement fabriquée. J'y reviendrai.

Pour Piketty, cette contribution des riches est tout au plus anecdotique. Monique Pinçon-Charlot, dans l'Humanité, la chiffre à 300 millions et elle remarque que cela correspond à peu près à la somme votée par les députés UMP quand ils ont décidé de fiscaliser les indemnités d'accident du travail. L'indécence dont je parle plus haut est ici frappante. Mais à qui fait-on appel quand il s'agit de parler des inégalités sociales ? A un ancien sous-ministre de Sarkozy, Martin Hirsch, proclamé grand spécialiste des « pauvres ». En fait, ce n'est qu'un de ces innombrables rebouteux mandatés par les nantis pour gérer la misère et neutraliser ceux qui cherchent au contraire à l'éradiquer. M. Hirsch, on le sait, est l'inventeur du RSA qui, sous couvert de rationalisation des aides sociales, est une machine à piéger les pauvres toujours soupçonnés de paresse et de fraude1. Alors M. Hirsch, dans une tribune du journal le Monde (24.05.2011) s'offusque bien entendu de « l'inflation spectaculaire des plus hautes rémunérations », des « mécanismes de captation de rente (qui) ont été astucieusement créés permettant à un petit nombre, siégeant dans les comités de rémunération des entreprises, de jouer au jeu du renvoi vertigineux de l'ascenceur rémunérateur »2.

Bravo ! On attend alors des propositions énergiques. Mais M. Hirsch est un « humaniste » délicat, il ne veut pas de « mesures unilatérales de l'Etat prises comme des mesures punitives ». Il en appelle alors, sans rire, à la « responsabilité sociale des multimillionnaires ». Eux qui sont si sensibles, bons et généreux ! C'est ainsi que la philanthropie sauvera le monde, comme aux Etats- Unis où elle serait, paraît-il, chose naturelle. C'est le modèle de la fondation dont l'autre dénomination est significative : le social business.Ainsi, « de manière volontariste les plus fortunés de ce pays accepteraient de modérer leurs prétentions pour leurs gains personnels et de mettre au service d'une ambition socio-économique efficace une partie de leurs ressources ». Une partie! Il leur faut bien de l'argent de poche pour leur yacht. Faux naïf, M. Hirsch nous prend pour des imbéciles. La grande richesse est fondée sur la cupidité et l'égoïsme, elle ne peut devenir altruiste sans se nier. Et qu'est-ce que cette société fondée sur la charité des possédants que nous propose M. Hirsch ? Le sort du plus grand nombre serait soumis au bon vouloir, partageux ou non, voire à l'arbitraire, aux caprices ou aux lubies de quelques opulents personnages n'ayant d'autre légitimité que la fortune. Une société d'ilotes à la merci de maîtres inaccessibles.

26 septembre 2011

1  Voir ma chronique « La production idéologique de la pauvreté méritée », les Nouvelles, 09.07.2009.
2  Voir ma série de chroniques sur « La nomenklatura libérale » en septembre et octobre 2009.