Du racisme social à l'indignité politique

     Ainsi, selon le président Macron, le monde se divise en deux catégories : « ceux qui réussissent » et « ceux qui ne sont rien ». On a rarement poussé aussi loin, dans les sphères du pouvoir, le mépris de classe. Et avec autant d'arrogance et de naturel. Ce mépris est une des formes du racisme social : celui-ci est constitutif de tout système de domination et d'exploitation. Il est inhérent au pouvoir de la bourgeoisie. Chez Sarkozy, le mépris de classe était surjoué, il lui fallait afficher les goûts dispendieux des riches, se démarquant ainsi du commun, comme sauf-conduit pour accéder à cette caste de la grande bourgeoisie qui ne l'a jamais considéré autrement que comme un parvenu assez vulgaire mais bien utile jusqu'à ce qu'il soit jugé trop encombrant. C'est en janvier 2015, à un dîner de l'AFEP (Association française des Entreprises privées, discret lobby de la centaine de patrons les plus importants et les plus influents et bien plus déterminante que le MEDEF) que le lâchage s'effectue : Sarkozy n'est décidément pas de leur monde, il n'a pas fait les bonnes études... Les patrons ont vite compris tout le parti à tirer de la duplicité pateline de Hollande, le pacte de responsabilité les allèche, la loi Macron (déjà) les convainc.

     Chez Hollande, le mépris de classe, comme tout le personnage, se fait cauteleux et même un peu honteux mais bien réel. Il jure ne pas avoir moqué les « sans-dents », mais cela ne s'invente pas : c'est bien dans son style. Ostensible et utilitaire chez Sarkozy, le racisme social se fait blagueur chez Hollande. Il devient spontané et libéré chez Macron : c'est celui de cette pseudo-sociologie rudimentaire de garden-party où d'élégant(e)s invité(e)s pérorent, entre deux louches de caviar, tout gonflé(e)s d'autosatisfaction, sur l'abîme qui sépare l'élite « qui a réussi » -eux- de la plèbe « qui n'est rien » et qu'ils (elles) se représentent comme une masse pitoyable et soumise tant qu'elle est préservée des agitateurs bolchevico-staliniens de la CGT... Mais si, ma chère, ça existe toujours... Heureusement qu'il y a des syndicats « raisonnables » qui « ne croient pas », eux, à cette horrible lutte des classes...

     Quant au prétendu philosophe de l'Elysée, il devrait savoir que jamais personne n'est rien. Peut-être connaît-il Montaigne pour qui « chaque homme porte en soi la forme entière de l'humaine condition », cela ne l'immunise pas, contre un racisme de classe où l'alcoolisme et l'illettrisme qu'il prête aux classes populaires seraient la cause de leur hostilité aux « réformes ». Macron n'hésite pas à insulter ce peuple archaïque qui décidément ne comprend rien aux joies de la « destruction créatrice » ! C'est la dernière faribole pêchée chez la nouvelle coqueluche de l'orthodoxie économique, un nommé Schumpeter (1883-1950) : votre emploi est supprimé, vous êtes licencié... Réjouissez-vous, cela va permettre, d'en créer un autre ailleurs... Si,si... En attendant, débrouillez-vous, dans la société libérale vous n'êtes rien et votre survie n'est qu'une affaire individuelle.

     Le racisme social est le fondement idéologique d'un escamotage politique de plus en plus radical des classes populaires. On le sait, la démocratie libérale et bourgeoise a été conçue sur la défiance à l'égard du peuple et aménagée pour l'écarter du pouvoir. Or, de longue date, de bons esprits ont notifié la disparition de la classe ouvrière et voilà que les mêmes, qui ne sont pas à une contradiction près, la font resurgir pour la stigmatiser en l'accablant du vote Front national. C'est une véritable entreprise de délégitimation politique véhiculant l'image de « prolos racistes et bornés », comme le remarque le sociologue Gérard Mauger. La social-démocratie, avec en particulier son think tank Terra Nova, s'est empressée de théoriser le rejet politique de classes populaires que de toute façon elle avait déjà perdues. Le cliché, complaisamment repris par les médias, du FN premier parti ouvrier est évidemment un faux grossier : 1 ouvrier sur 7 vote FN selon Gérard Mauger ; c'est proportionnellement moins que d'autres catégories sociales, artisans et commerçants, petits et moyens patrons, etc. Et il y a toujours eu des ouvriers pour voter à droite. Il s'agit bien d'une opération politico-idéologique visant à forger l'indignité politique des classes populaires. Socialement méprisées, économiquement exploitées, politiquement stigmatisées, elles doivent devenir invisibles et inaudibles. La loi travail fait partie de cette opération. Le peuple ne serait plus ainsi une cause à défendre mais un problème à résoudre !

 

NIR 188. 4 septembre 2017