Forts et faibles devant l'impôt

Qui ne voit aujourd'hui qu'une caste oligarchique met la société en coupe réglée, s'enrichissant impunément en combattant violemment toute idée de bien commun et prétendant néanmoins, avec une rare impudence, agir au nom de l'intérêt général. Elle dispose de tous les pouvoirs économique, politique, médiatique et a imposé cette invraisemblable fable par la conquête de l'hégémonie culturelle, au sens gramscien de l'expression, grâce à une armée de laquais intellectuels prompts à pourchasser tout discours hétérodoxe. Nul besoin d'évoquer on ne sait quel complot, les membres de cette nomenklatura n'ont aucune nécessité de se concerter pour agir de concert et développer une solide solidarité de classe fondée sur l'évidence de leurs intérêts communs et le sentiment d'avoir tous les droits.

     C'est avec justesse que l'Humanité-Dimanche a titré à leur propos : « Pourquoi ils se croient tout permis ! » (06.06.2013). C'est bien de cela qu'il s'agit, mais au-delà des cas individuels cités par l'HD (Tapie, Cahuzac, Woerth, Andrieux, etc.) il faut souligner qu'il ne s'agit pas de quelques personnages dévoyés mais d'une posture de classe, d'un comportement général des possédants et de leurs affidés se considérant comme au-dessus d'une loi commune bonne seulement pour un peuple de petites gens qu'ils méprisent... Même si tous ne se rendent pas forcémént coupables de délits caractérisés, ils estiment de bonne guerre de naviguer à la marge d'une légalité d'Etat qu'ils regardent comme illégitime, ce qui leur permet, par exemple, de se jouer des règles distinguant « optimisation » fiscale et fraude fiscale. C'est un habitus de classe que Monique Pinçon-Charlot et Michel Charlot analysent avec leur pertinence habituelle : « Le libéralisme induit un laxisme collectif, celui d'une classe sociale dont les intérêts ne doivent connaître ni obstacles ni contraintes, mais aussi un laxisme individuel qui fait du cynisme et du déni de la règle le mode de fonctionnement du dominant » (l'Humanité, 11.04.2013).

     Les effets de connivence, qui constituent la forme de leur solidarité de classe, sont multiples. L'HD publie la photo de l'audition de Tapie par la commission des Finances de l'Assemblée en 2008 où l'affairiste parade aux côtés du président d'alors de la commission, un certain Didier Migaud... Oui, le même Didier Migaud, présenté comme socialiste et devenu par la grâce de Sarkozy premier président de la Cour des Comptes... Le même qui, dans cette fonction, multiplie admonestations et remontrances visant, paraît-il, à économiser les deniers de l'Etat... et qui n'a toujours pas trouvé le moyen de s'intéresser à ce fameux « arbitrage » par lequel Tapie a soutiré 400 millions à ce même Etat, sans parler de cet invraisemblable « préjudice moral » à 43 millions ! Pointilleux et impitoyable avec les salariés, M. Migaud n'a même pas consulté la convention d'arbitrage de l'affaire qui reste dissimulée. Pas le temps, trop occupé qu'il est à fustiger ces parasites dispendieux que sont les chômeurs, les fonctionnaires, les retraités... On connait la formule qu'illustre ainsi M. Migaud : fort avec les faibles, faible avec les forts.

     De la même façon, Alexis Spire montre que, contrairement aux jérémiades des nantis, l'administration fiscale, intransigeante avec les salariés, est systématiquement complaisante avec les hauts revenus (Faibles et puissants face à l'impôt, Raison d'agir, 2012). Plus on est riche, plus on pratique une « optimisation » fiscale exploitant toutes les opportunités et failles du système qu'une armée d'agents d'affaires, conseillers fiscalistes, experts comptables ou marchands de biens s'emploient à détecter. Des pratiques souvent à la limite de la fraude laquelle une fois avérée est rarement sanctionnée à la mesure du délit. Les agents du contrôle fiscal, dont des milliers de postes ont été supprimés sous Sarkozy, ont reçu en outre des « injonctions à la mansuétude » et pour consigne une « application mesurée de la loi fiscale » (www.contretemps.eu). Les bases déclaratives permettant de chiffrer l'ISF sont difficiles à vérifier et les agents sont alors contraints à une « gestion conciliante des illégalismes » voire à un « consentement tacite à ce type de transgressions » (www.monde-diplomatique.fr). Ajoutons enfin que ces récriminations indécentes sur les impôts des riches se doublent d'une campagne honteuse sur le thème d'une « fraude sociale » par laquelle les « assistés » abuseraient des « aides » de l'Etat. Ce que nous allons voir...

 

10 juin 2013